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Le saint et grand Samedi

DESCENTE AUX ENFERS

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La souffrance de Dieu –

C’est un jour de grand silence: le Verbe s’est retiré dans la mort pour la vivifier de l’intérieur. Il est entré dans la mort par la porte de la Croix. Il n’a pas seulement assumé notre mortalité pour tout connaître de notre condition et tout sauver de l’humanité. Il n’a pas seulement subi la mort d’une façon passive comme un évènement qui lui serait arrivé, fruit de la méchanceté et de l’ignorance des hommes. Il n’a pas seulement fait divinement l’expérience du grand abandon de la mort solitaire. Il n’a pas seulement su, par expérience humaine, Lui qui est Dieu en personne, ce que c’est, pour un homme, que de se sentir abandonné de Dieu. Il n’a pas seulement souffert horriblement en sa chair la torture de la croix, et en son âme l’apostasie de presque tous.

L’invulnérabilité de Dieu

Mais, selon le témoignage des saints Pères, Il était simultanément, en tant que Dieu, vulnérable et invulnérable. En tant que Dieu, rien ne pouvait ni ne peut l’atteindre s’Il ne choisissait librement d’être atteint. Par exemple, Il ne pouvait pas être humilié, parce qu’Il est humble! Il ne s’agit pas de relativiser ses souffrances corporelles et morales en disant qu’elles ne sont qu’apparentes puisqu’Il est Dieu. Non: elles sont réelles puisqu’Il est Homme. Toutefois, Il est homme parfait, saint, déifié, sans péché, sans passions et rien de ce qui nous fait souvent souffrir, comme la vanité déçue, les insultes, les humiliations, les trahisons, toutes les formes de frustration de notre amour immodéré pour nous-mêmes et d’un orgueil en vérité satanique, aucune de ces formes de souffrance liées au péché personnel ne le touchait.

La divine compassion

Comment donc a-t-Il souffert s’Il a souffert réellement mais sans péché? Comment a-t-Il eu mal dans son corps et son âme, notre Dieu impassible ? Comment est-Il mort, notre Dieu immortel? – par compassion! Il a souffert par compassion; Il est mort par compassion; Il a assumé les conséquences du péché adamique affectant la nature et la condition humaines par compassion; Il a accepté, par compassion, d’être condamné comme un malfaiteur, Lui l’Innocent absolu.

L’antinomie divine

Notre vénération du Tombeau et de la Croix tout au long de ce jour supporte le paradoxe, ce qu’on appelle l’antinomie. En transparence de l’horrible déshumanisation du corps supplicié du Sauveur et Messie, nous voyons par la grâce du saint Esprit la splendeur de sa divinité. En transparence de la mort qu’Il a voulu paradoxalement vivre en son humanité réelle, nous voyons par ce même Esprit le Saint immortel que nous glorifions. L’iconographie de l’Eglise a toujours été désespérément confrontée à cette exigence: montrer l’antinomie de la divinité et de l’humanité en Jésus; celle de la justice et de la miséricorde; celle de la souffrance et de l’impassibilité; celle de la souveraineté et de l’humilité; celle de la déréliction et de la joie.

L’image de la Croix

Certains le montrent sur la Croix les yeux ouverts, pour confesser qu’Il est vivant dans la mort elle-même; certains le peignent les yeux fermés pour confesser la réalité de son Incarnation; généralement, on tente de montrer son corps, non pas affaissé, mais léger dans la mort. L’art roman voit souvent sur la Croix le Christ couronné en Roi qu’Il est et les yeux ouverts car Il vivant et vêtu d’habits de gloire car Il est le Pontife absolu. Bien sûr que c’est une impossibilité humaine de voir dans l’agonie la gloire, et nos poèmes liturgiques s’évertuent eux aussi à confesser le paradoxe, comme nous l‘avons entendu au cours des matines qui viennent de s’achever.

Le Septième Jour

En tout cela, nous n’oublions pas que ce grand Samedi coïncide mystiquement, dans un saisissant raccourci de toute l’histoire de la Création, avec le Septième et grand jour du Shabbat, du retrait de la Divinité créatrice. Aujourd’hui, le Créateur du ciel et de la terre et de tous les êtres visibles et invisibles, non pas se repose, comme s’Il était fatigué, mais fait une pause magnifique, pour n’être que lui-même, sans ce grand jeûne du septième Jour. La mort est identifiée au shabbat du septième jour, suspension, non de la divinité elle-même de Dieu ou de son humanité puisqu’Il s’est fait Homme, mais de son activité. Il cesse d’agir en tant que Dieu; en tant qu’Homme, Il cesse de vivre; en tant que Verbe Il est entré dans le silence insondable de sa propre divinité; Il se tait; Il fait une pause dans son activité créatrice.

Le Tombeau plein

Il est Lui-même et rien d’autre que Soi, affranchi de tout attribut, de tout ce qu’on peut dire de lui; Il n’est que “Je suis Je suis Je suis!” et cette Identité absolue va resplendir du Tombeau, le Huitième jour. Le Tombeau est, non pas vide, mais plein de la Personne rayonnante du Verbe. Son tombeau n’est pas déserté comme celui que vida Lazare à l’appel de ce même Verbe. Son tombeau est rempli de sa présence absolue et transcendante, transcendant même l’être et le non-être…

Un jour de silence

Pour cela, le grand Samedi, le grand Shabbat, la grande mise en sommeil de l’activité divine, la grande mort du Dieu Homme, sa grande visite au royaume des morts, est un jour a-liturgique. Le typikon ou ordre des célébrations ne prévoit, après matines, aucun office: ni prime, ni tierce, ni sexte, ni none. Le Corps du Christ retrouve la parole pour la célébration des vêpres unies à la divine liturgie. En cette heure, suivant la tradition gardée par toutes les Églises, devrait avoir lieu la célébration du saint baptême. De magnifiques lectures bibliques signifient le renouvellement de la Création à partir des eaux principielles; et les catéchumènes, une fois immergés, sont ces « néophytes », ces plants nouveaux de l’humanité renouvelée, qui vont participer, au cours de la nuit, à la célébration de la Résurrection.

La prière du cœur

Comment donc prier en ce jour, puisqu’il n’y a pas d’office; puisque l’Eglise fait silence comme son Maître? Notre prière, en ce jour, est la veille avec, dans le cœur, une invocation très simple: Gloire à ta Passion vivifiante, Seigneur Jésus Christ, gloire à toi! En effet, dans sa dormition, nous lui parlons en Vivant…