Le paradoxe –
Le chant de la grande Entrée est presque insupportable quand on pense aux difficultés que rencontre la plupart des hommes, notamment quand des fléaux frappent l’humanité. Il nous est difficile d’oublier les soucis des autres : les malades, les prisonniers, les chômeurs, les opprimés, les réfugiés, les persécutés, les sinistrés – tous ceux que nous évoquons dans la grande litanie. Nous-mêmes, nous avons quelquefois des préoccupations légitimes quant au travail, à l’éducation de nos enfants, aux dépenses liées au logement. Nous avons peut-être des inquiétudes pour la santé ; nous pensons à notre propre mort ou à des mésententes avec autrui. De plus, nous sommes persécutés par nos passions, nos péchés, et toutes sortes de pensées impures, méchantes ou simplement vaines et fausses.
L’invitation
Pourtant nous sommes invités à « déposer tout souci de ce monde ». Facile à dire ! Facile à chanter !, dira l’autre… Non, ce n’est pas facile du tout. Mais nous y sommes invités par la voix des saints, et nous nous y invitons nous-mêmes pour trois raisons. La première est que, comme le dit la prière, « nous sommes l’icône mystique des chérubins » ; la deuxième est que « à la vivifiante Triade, nous offrons l’hymne du Trois-fois-saint » ; la troisième est que nous voulons « recevoir le Roi de tout ». Telle est, quelles que soient les épreuves, notre belle vie : configurée au modèle chérubique, c’est-à-dire à la connaissance de la Divinité ; célébrants de la divine Trinité ; et témoins de la royauté universelle du Verbe incarné.
Le peuple sacerdotal
Les baptisés que nous sommes constituent une communauté humaine particulière, et leur vocation est propre : dans l’épreuve, se détacher de ce qui est étranger à la Foi, laisser le Roi fouler de ses pas divino humains tout ce qui nous pèse ; Il rendra ceci léger. Nous sommes consacrés. Notre existence est un temple pour la Divinité. Nous ne sommes pas « du monde », quoique « dans le monde ». Déposer, c’est à la fois quitter et offrir. Nous nous invitons nous-mêmes à nous déprendre de tout ce qui nous préoccupe, et à le confier au Pontife de nos âmes pour qu’Il le consacre en lui-même. Nos soucis, quand nous les aurons lâchés, pourrons devenir les siens. Le Précurseur a vu en lui l’Agneau qui « porte le péché du monde » : mais il ne lui suffit pas de porter ; Il consacre eucharistiquement tout en son Corps et en son Sang.
La prière comme but
Du reste, si nous ne lâchons pas les préoccupations mondaines, nous ne pourrons pas « accueillir le Roi » ; nous ne pourrons pas le prier, prononcer son Nom si doux, le célébrer avec joie et faire volontiers sa volonté. Nous ne saurions être ses disciples puisque notre cœur sera pris ailleurs. Il en est comme de l’amour : l’amoureuse ne se soucie de rien que de celui qu’elle aime, n’est-ce pas ?
Comment, que faire ?
Facile à dire ! « Il n’y a qu’à ! » Souvent les injonctions entendues dans l’Église nous paraissent décalées par rapport à notre vie. Où trouver les ressources de l’expérience qui nous est proposée ? En tout premier lieu, dans l’esprit d’obéissance – dire intérieurement « oui ! » Deuxièmement, en remplaçant dans nos cœurs les pensées morbides par des pensées de foi. Ensuite, en fermant l’accès à toute nouvelle suggestion mortifère – dire intérieurement « non ! ». Ce sont des choix, des actes de liberté par obéissance. Ensuite, introduisons la prière, non de supplication, mais de louange, celle que nous enseignent les chérubins.
Louer !
De la louange, naîtra l’émerveillement, et de l’émerveillement, la victoire sur la mort. Glorifions la Résurrection ! Glorifions la seigneurie du Seigneur et la royauté du Roi de tout. Il est en notre pouvoir de cultiver des pensées et des sentiments d’admiration à l’égard du Christ, de sa divinité, de son humanité, de sa bonté, de son amour pour tous, et des sentiments de gratitude pour tout ce que nous savons de merveilleux à son sujet, et pour tout ce que nous ignorons et que, probablement, les hiérarchies angéliques connaissent, quoiqu’elles ne sachent pas tout.
Une soucieuse insouciance
Le charisme de l’insouciance nous sera accordé et nous connaîtrons la paix du Royaume, en dépit des tribulations par lesquelles, solidaires de l’humanité, nous passerons. L’insouciance est un total affranchissement des préoccupations mondaines que suit un souci incessant pour la familiarité de Dieu et le Salut en lui. A l’heure du dé confinement, nous nous invitons nous-mêmes à ne pas consommer inutilement les énergies de notre cœur. C’est ce que dit le Maître : « regardez les fleurs des champs, les oiseaux… Souciez-vous plutôt du Royaume ! » Au milieu des grands bouleversements, les saints, pleins de compassion pour les souffrants, forts dans la louange et le cœur serein, tournent leur face vers le Roi de tout, qui vient comme Soleil levant, en cette vie et dans l’autre.