Le principe de territorialité –
L’Église est une réalité divino humaine qui est enracinée dans le temps et dans l’espace. Elle est définie par la catholicité de la Foi et la communion de tous ses membres dans un même Esprit. Elle exerce ses activités dans un lieu concret : une cité (ville), un village, une région urbaine ou rurale. Ces divers lieux sont définis par l’administration civile : autrefois l’organisation de l’Empire romain et maintenant les limites territoriales dont hérite chaque pays. À l’intérieur de ces limites s’exercent des lois civiles différentes, souvent, de celles qu’on trouve dans le pays voisin.
Les nations
Et sur le territoire d’un pays vivent fréquemment des hommes qui appartiennent à des peuples différents. S’ils confessent la même foi, s’ils suivent la même tradition de vie et de prière, ils forment naturellement la communauté chrétienne locale sous la présidence de l’évêque le plus proche, celui qui réside dans les limites du territoire donné, et qui est le garant de l’unité des chrétiens du lieu entre eux et avec les chrétiens des autres lieux. On peut dire : tous ceux qui confessent la même foi, dans le même temps et dans le même lieu relèvent du même évêque – à charge bien sûr pour celui-ci d’entretenir la communion de foi et de vie avec tous les autres évêques des autres territoires. Un tel territoire peut être un pays, l’équivalent d’un département ou d’une région, souvent une grosse ville. Le concile de Nicée a formulé ce principe. On en trouve l’exemple dès les premiers temps de l’Église, dans les épîtres de saint Paul et dans l’Apocalypse. C’est une réalité qui relève du bon sens et de la théologie même de l’Incarnation, comme le montre l’existence terrestre du Sauveur, qui s’est déployée dans un territoire donné.
La transfiguration des cultures
Dans le cantique de Moïse, chanté à matines le mardi, il est dit : « quand le Très-haut répartit les nations et dispersa les fils d’Adam, Il fixa les bornes des nations suivant le nombre des anges de Dieu » (Deut. 32, 1-43). L’Église, comme sacrement (mystère) de la présence du Christ dans son monde par le saint Esprit, intègre toutes les cultures, les convertit, les baptise et les sanctifie. La tradition liturgique oppose à l’incompréhension mutuelle des peuples de Babel, la communion de nations diverses dans la même foi par le saint Esprit : c’est le miracle de la Pentecôte. L’existence de cultures, de peuples et même de nations différentes les unes des autres, est une immense richesse gouvernée par le monde angélique. Elle s’articule avec l’existence du Peuple élu, Israël, par le baptême, intégration à l’Israël de Dieu dans la Personne du Fils de Dieu. Bien entendu, l’unité de foi et de vie est indispensable pour que la diversité des langues, des cultures, des coutumes, ne tourne pas à une nouvelle Babel.
La vigilance
Une saine vigilance préside à l’organisation ecclésiastique sur les territoires où se trouvent des communautés confessant la vraie foi dans des langues et des coutumes différentes. Il y a une unité de la tradition des Apôtres et des Pères qui tient, non seulement au charisme hiérarchique de l’Évêque, mais également à l’unité intérieur au Corps du Christ, qui est inspirée par l’Esprit saint et qui s’exprime dans la diversité des cultures. Dans certaines communautés, on trouve jusqu’à cinq ou six peuples célébrant ensemble, ce qui est bien agréable à Dieu. Cela suppose que, au sein par exemple d’une paroisse, ces personnes s’aiment, se respectent et se réjouissent d’apprendre les unes des autres. Et, sur un même territoire, par exemple un pays, ces peuples doivent pouvoir avec le même amour et le même respect reconnaître les mêmes évêques locaux, même si ceux-ci ne sont pas de leur peuple et de leur culture ! Car c’est le principe épiscopal de territorialité qui est normatif.
Transmission et inculturation
Les anges président aux nations. Le Christ, tout en se faisant l’Homme universel, le second Adam, s’est fait un Juif parmi les Juifs. Il a transfiguré sa propre nation. Dans chaque Église locale, ou territoriale, dans chaque diocèse, il y a une tension féconde entre les richesses particulières et l’universalité. Nous trouvons notre identité dans la foi, non dans la nation. L’expression « je suis chrétien orthodoxe » se décline dans plusieurs langues, à travers l’expérience historique de chaque peuple, ses souffrances et ses joies, ses charismes. Il est quelquefois difficile de se comprendre les uns les autres, tellement on est différent. Mais la richesse de la Tradition de foi qui constitue dans le Christ notre identité est transmise à travers l’expérience des peuples. Dans les paroisses francophones, par exemple, c’est par la présence d’Orthodoxes de souche que passe le patrimoine religieux.
L’Orthodoxie ne s’apprend pas dans les livres : elle se transmet de personne à personne. Et le lien que conservent les personnes avec leur Église d’origine, le lien des diocèses locaux avec les diocèses historiques, est fondamental pour qu’il y ait vraiment transmission. En même temps, l’expérience de l’Orthodoxie ainsi transmise sera inculturée, reçue, grâce à la langue et à la connaissance du patrimoine historique, dans la culture locale : celle-ci devient le creuset dans lequel toutes les cultures venues d’autres pays sont accueillies avec gratitude parce que nous apprenons d’elles.
La persévérance
Dans les territoires d’émigration, la fidélité au principe de territorialité n’est pas facile, la situation n’est pas encore normale : la plupart des diocèses et des paroisses a un caractère ethnique, plusieurs évêques résident dans la même, la référence identitaire est fréquemment nationale. Nos péchés – nationalisme ou phylétisme, rivalité, ignorance des racines orthodoxes locales, etc. – freinent l’accomplissement de la volonté de Dieu. Une façon relativiste de pratiquer les relations inter confessionnelles gêne également l’organisation ecclésiastique traditionnelle.
Des exemples encourageants
Mais il y a quantité d’exemples de paroisses qui vivent selon le principe de territorialité et où la communion de personnes de cultures nationales différentes est réelle. Une paroisse qui était appelée « église roumaine de telle ville » est ainsi devenue une communauté orthodoxe bien vivante grâce à la concélébration de Géorgiens, de Russes, de Français de souche, de personnes d’origine juive, de Serbes et de Roumains ! Ce qui est important c’est de saluer tout ce qui advient de conforme à la volonté de Dieu et d’être, pour le reste, dans le repentir, dans la persévérance et dans l’acquisition de l’amour du Christ.