Un mot blessé –
Les chrétiens emploient beaucoup de mots qui « fâchent », qui provoquent l’allergie de personnes en quête spirituelle et les tiennent souvent à distance de la communauté des baptisés. Église, ou église, est un de ces mots blessés. À propos du mariage, dans les Femmes savantes de Molière, Henriette s’entend demander : « est-ce le mot, ma fille, ou la chose qui vous gêne ? » En ce qui concerne « église », la réponse est souvent : « les deux ! ». Le mot et la réalité ont, autour de nous, chez ceux qui ne sont pas chrétiens, ou qui veulent être chrétiens autrement, une connotation négative – institution, organisation humaine intolérante, ennemie de la liberté et du progrès, archaïque, ennemie du plaisir, misogyne, hostile au monde, en conflit avec la Science, caricaturée par d’incompréhensibles divisions… L’étude de l’Histoire, d’un certain point de vue, contribue au discrédit d’une notion et d’une réalité synonymes de pouvoir… Beaucoup de chrétiens se veulent « sans Église » ou Sans-Église-Fixe (SEF !). Beaucoup se tiennent à l’écart : le Christ, oui – l’Église, non…
Reconstruire
L’honnêteté consiste à reconnaître la vérité, à balayer devant sa porte : la mauvaise presse qu’a l’Église est généralement fondée. Pourquoi le nier ? L’optimisme, écrit Voltaire, est « la rage de dire que tout va bien quand tout est mal ». Mais on peut suivre une approche vivante, existentielle, du phénomène Église, pour s’adresser à nos innombrables contemporains, amis, proches ou parents, hommes et femmes de bonne foi, sinon de foi. Église veut d’abord dire « appel » (« ekklésia »), assemblée qui se réunit pour répondre à une convocation.
L’appel
Cet appel, on le voit dans le saint Évangile, est avant tout extraordinairement personnel : saint Jean écrit que le berger appelle se brebis chacune par son nom. Il est le plus souvent formulé au singulier : « Suis-moi ! », dit Jésus ; « Viens ! » (Matthieu 19, 16-22 ; Marc 2, 14 ; 10, 21) – quelquefois au pluriel : « Venez avec moi » (Marc 1, 16-20). Les disciples et les apôtres sont appelés (Luc 6, 13) ; et, en fin de compte, l’appel est universel : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et Je vous soulagerai ! » (Matthieu 11, 28). Saint Paul s’adresse ainsi aux baptisés : « Vous que Jésus Christ a appelés » (Romains 1, 6) ; « Vous qui avez reçu l’appel de Dieu » (1 Corinthiens 1, 26).
L’invitation au repas
L’Église est la communauté vivante de ceux qui répondent à l’appel de Jésus Christ, appel qui culmine dans l’invitation au banquet eucharistique : « Avec crainte de Dieu, foi et amour, approchez ! » L’Église est la voix de Celui qui appelle tous les hommes à se nourrir et à s’abreuver de sa sagesse, de son amour et de sa paix.
La rencontre
L’Église du Christ naît de la rencontre avec lui. Déjà, dans le désert, le grand Moïse conduisait le Peuple à la rencontre de Dieu (Exode 19, 17) ; et le Seigneur Lui-même venait à la rencontre des fils d’Israël : l’Église, ou l’église, est le lieu où Dieu rencontre les hommes et qui est, par cela, consacré à sa gloire (Exode 29, 43). Dans le saint Évangile, nous voyons bien comment la Personne du Dieu Homme rencontre continuellement des personnes. Pensons à la fameuse et sainte Rencontre (Luc 2, 22) : en son enfance humaine, le Fils de Dieu est conduit dans le Temple à la rencontre de l’Ancien d’Israël, Siméon, qui « le reçoit dans ses bras ». Honorons la rencontre du Sauveur et de la Samaritaine (Jean 4,7), et quelle belle rencontre, près du puits de Jacob !
De personne à personne
C’est une rencontre de personne à personne, où le tutoiement est naturel, et où le Seigneur connaît tout de toi et de ta vie. Il rencontre une veuve à Naïm, des aveugles, des possédés, des pharisiens comme Nicodème. Dieu s’est fait l’homme de la rue qui ecclésialise le monde en rencontrant d’autres hommes et femmes de la rue, à Capharnaüm, à Jérusalem – Il est celui qui te rencontre dans ta propre vie, dans ton travail, dans tes joies et tes peines. Il est le Ressuscité qui, dès le matin de Pâques, n’a cessé de se trouver sur le chemin des hommes et des femmes qu’Il avait appelés : Marie-Madeleine, les Apôtres, notamment Thomas, les pèlerins d’Emmaüs. L’Église naît de la rencontre divino humaine.
Être ensemble
L’Église naît également des rencontres de personne à personne au Nom du Sauveur. « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » (Jean 1, 26), dit saint Jean Baptiste. Les chrétiens se réunissent autour de lui : « Je suis au milieu de vous », dit-Il, et Il décrit ainsi son Église : « Si deux ou trois d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Car, là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon Nom, Je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18, 19-20). Il est présent comme Celui qui dit : « Paix à vous ! » ; comme le Roi du Royaume invisible : « le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (Luc 17, 21). L’Église n’est pas le Royaume ; elle en est le sacrement ou la porte. Même son organisation découle de cette présence : « Je suis au milieu de vous comme Celui qui sert » (Luc 22, 27).
Le poids des siècles
Le mystère de l’Église est très complexe ; celle-ci est effectivement davantage un mystère qu’une institution. Culte, éthique, hiérarchie, culture, pesanteur historique, faiblesses des uns et des autres, contradiction et contre témoignage des chrétiens – tout cela doit être relu à partir de la réalité existentielle dont le fondement est la personne divine du Seigneur Jésus, le Dieu Homme, ce dieu si humain et si personnel, si amical.