Pour résumer cette terrible crise, qui déchira l’Eglise d’Orient pendant plus d’un siècle, on peut dire qu’il y a eu deux vagues de persécution, suivant le même « scénario » :
– à l’origine, on trouve un empereur persécuteur, dont la politique est suivie par ses deux successeurs
– cet empereur destitue le patriarche orthodoxe et le remplace par un patriarche iconoclaste
– un homme se lève pour défendre l’Orthodoxie et il en devient le flambeau
– le salut vient d’une femme, qui est régente
Entre les deux vagues, se situe le 7ème concile œcuménique, Nicée II, en 787.
La 1ère vague de persécution (726-780)
L’empereur Léon III, dit « l’Isaurien » (717-741) fut l’initiateur de l’iconoclasme. Il était d’origine modeste (marchand de bestiaux) et peu cultivé. Trois influences ont pu l’amener à rejeter violemment les icônes :
– il était probablement originaire de haute Mésopotamie, où il y avait une forte colonie juive, qui a pu l’influencer (les Juifs excluent toute représentation de Dieu et du sacré, car leur monothéisme strict s’est construit contre le polythéisme des païens);
– le calife omeyyade Yazid II (résidant à Damas), poussé par un Juif de Tibériade, ordonna en 721 la destruction de toutes les images chrétiennes, mesure qui fut approuvée par un favori de Léon III, apostat (devenu musulman) ;
– enfin, il a pu être influencé aussi par la secte des Pauliciens d’Arménie, apparue au 7ème s, qui étaient dualistes (un dieu du bien contre un dieu du mal) et spiritualistes (exaltation de l’âme et du monde invisible au détriment du corps et de la matière) et qui sera l’ancêtre des Bogomiles et des Cathares, rejetait toute représentation du sacré.
Il faut ajouter qu’il y avait en Asie-Mineure, et spécialement en Phrygie, quelques évêques qui étaient hostiles aux images sacrées (comme c’était le cas au 4ème s., pendant la crise arienne).
Léon III destitua le patriarche Germain1 et publia, en 730, un édit d’interdiction et de destruction des images sacrées (tout ce qui était à caractère iconographique), prétextant qu’il s’agissait d’idolâtrie.
Il y eut de nombreuses destructions d’icônes, de fresques, de mosaïques, ainsi que des persécutions violentes. Un homme s’éleva contre cette hérésie : St Jean Damascène2, moine à la Laure de Saint-Sabbas (au Sud de Jérusalem) : il écrivit trois traités sur les images sacrées (entre 726 et 730). Mais il était intouchable, parce que résidant hors de l’Empire byzantin, et que son père avait été un grand ministre des califes de Damas.
Son fils, Constantin V, dit « Copronyme3 » (741-775), né d’une princesse khazare4, alla encore plus loin : il réunit un concile à Hiéria (non loin de Chalcédoine) en 754, qui condamna formellement le culte des icônes, et il accentua les persécutions.
Son fils, Léon IV le Khazar4, fut moins violent et régna peu (775-780). Heureusement, il avait épousé une athénienne remarquable et iconophile convaincue, Irène, qui devint régente, pour son fils Constantin VI (780-797), puis qui régna seule (797-802)5, et grâce à laquelle put se réunir le 2ème concile de Nicée, en 787.
Le 7ème concile œcuménique (787)
Irène fit élire Taraise6 patriarche et, avec son aide, réunit un concile à Nicée (parce qu’impossible à Constantinople), en 787. L’oros (décision) de ce concile pose les fondements de l’iconographie chrétienne, en s’appuyant sur la « tradition de l’Eglise catholique » : il est légitime de représenter le Christ parce qu’Il s’est incarné ; l’icône n’est pas une image de la nature divine, mais l’image d’une personne divine incarnée. L’honneur rendu à l’image va à son prototype : celui qui vénère l’icône, vénère la personne qui y est représentée. Il faut distinguer entre « vénérer » (proskynein) et « adorer » (latreuein) : on vénère les icônes, mais on n’adore que Dieu. Ce concile, qui rappelait dans ses Actes les six conciles œcuméniques précédents, sera rapidement considéré comme le 7ème concile œcuménique.
La 2ème vague de persécution (815-842)
La paix religieuse va revenir momentanément. Les deux empereurs suivants, Nicéphore Ier (802-811) et Michel Ier (811-813), maintinrent ce cap.
Mais l’empereur qui succéda à Michel, Léon V l’Arménien (813-820), va reprendre la persécution. Il était un grand admirateur de Léon III et de Constantin V (qui, il faut le dire, avaient été de bons empereurs au plan politique) et il était convaincu que les défaites militaires de l’Empire étaient liées à la vénération des icônes. En 815, il destitua le patriarche Nicéphore7 et remit en vigueur les décisions du concile hérétique de Hiéria. La persécution reprit avec violence. Il y eut de nombreux martyrs, surtout chez les moines. Une voix s’éleva avec force contre cette politique religieuse, celle de St Théodore le Stoudite8 (abbé du célèbre monastère du Stoudion à Constantinople). La persécution dura environ 30 ans, continuée par ses deux successeurs, Michel II le Bègue et Théophile.
Michel II (820-829), le fondateur de la nouvelle dynastie « amorienne » était originaire de Phrygie, là où il y avait depuis longtemps plusieurs évêques iconoclastes, et il était un homme fruste. Quant à Théophile (829-842), il avait une raison personnelle d’être iconoclaste : il était passionné par la culture arabe musulmane (et notamment l’art, qui interdit toute représentation humaine). Il faut dire qu’il avait été formé par un iconoclaste redoutable, Jean le Grammairien, qu’il avait imposé comme patriarche. Mais, lorsqu’il mourut, sa veuve Théodora9 devint régente (842-856) pour le jeune Michel III. Or elle était une Orthodoxe convaincue. Elle fit élire patriarche un moine, Méthode10 et, avec son aide, elle remit en vigueur les décisions du concile de 787 et restaura la vénération publique des icônes et images saintes (au cours d’un concile local). Pour la 2ème fois, une femme sauvait l’Orthodoxie11. La grande cérémonie eut lieu à Sainte-Sophie le dimanche 11 mars 843, qui était le 1er dimanche de Carême.
Ce fut un combat tellement long, difficile et douloureux, qui déchira l’Eglise d’Orient pendant plus d’un siècle, qu’on décida de faire de son anniversaire une fête de l’Orthodoxie, la fête du triomphe de la foi orthodoxe sur les hérésies. Mais, hélas, il n’y eut plus jamais ensuite de concile œcuménique orthodoxe, même après le schisme de 1054. L’Eglise orthodoxe, qui n’a subsisté qu’en Orient, s’est repliée sur elle-même, sur son rite (byzantin), ses usages, sa culture. Mais il faut dire que, mise à part la jeune Eglise russe, tous les patriarcats d’Orient étaient sous le joug de l’Islam. Dans un certain sens, le 7ème concile œcuménique fut le chant du cygne de l’Eglise indivise et de l’Orthodoxie.
(1) St Germain de Constantinople, fêté le 12 mai.
(2) St Jean Damascène fut un grand théologien et un liturge de génie (il a écrit l’Octoëque et tout le canon pascal). Il est fêté le 27 mars en Occident et le 4 décembre en Orient
(3) Terme grec qui signifie « du nom d’excrément », parce qu’il avait souillé l’eau baptismale, lors de son baptême. C’est très symbolique, car il y a une analogie forte entre les excréments (rejetés du corps parce qu’inassimilables, sales, laids et sentant mauvais) et les hérésies, qui sont des excréments théologiques. L’hérésiarque Arius, qui rejetait la divinité du Christ, avait fini par être réhabilité par l’empereur Constantin, qui était un homme changeant et influençable : mais la veille du jour où il devait être réintroduit dans l’Eglise, on le retrouva mort dans les cabinets, souillé par ses propres excréments. Les Pères y ont vu un jugement divin. On peut ajouter qu’il y a aussi une analogie avec les démons : lorsqu’un démon est chassé d’un possédé, il y a souvent une mauvaise odeur d’excréments, qui témoigne de l’infection spirituelle que représentait ce démon (on le voit dans de nombreuses vies de saints).Par contre, lorsqu’une personne a « acquis » le Saint-Esprit, elle exhale un parfum suave…
(4) Les Khazars étaient une population asiate du Sud de la Russie actuelle, d’origine turque : ils se convertiront au judaïsme vers 740-750, sans que l’on sache pourquoi, ni comment.
(5) C’est elle qui offrit à Charlemagne la Sainte Tunique du Christ, déposée à Argenteuil. Comme ils étaient veufs tous les deux, on a voulu les marier, mais cela n’a pas marché.
(6) St Taraise de Constantinople, fêté le 25 février
(7) St Nicéphore de Constantinople, fêté le 2 juin
(8) Il sera exilé par Léon V. Fêté le 11 novembre, en Occident et en Orient.
(9) Ste Théodora, fêtée le 11 février
(10) St Méthode de Constantinople, fêté le 14 juin
(11) En fait, la 3ème fois, car, bien avant Irène, il y avait eu Pulchérie, la soeur de Théodose II, grâce à laquelle, on avait pu réunir le concile de Chalcédoine, en 451.