« Màrtisori »
En Roumanie, on se souhaite, le 1er mars, un joyeux printemps, avec de petits objets en fil rouge et en fil blanc, porte-bonheur ou talismans, appelés « màrtisori » : joyeux mars ! Hier, 21 mars, premier jour de printemps : les jours sont moins courts, les couleurs font, avec le vert, leur première apparition dans les bois et dans les champs. On vend dans le métro et dans les rues des jonquilles ou des narcisses …
La mort du monde
Pourtant, la joie printanière a une amertume : la terre est souillée tous les jours par le meurtre et la violence – bonheur impossible, impensable joie. De fratricides conflits signalent l’instrumentalisation de la religion au profit du pouvoir et des projets nationaux. Sinistre 4ème printemps de la guerre en Syrie – 15 mars 2011… Or, derrière les génocides d’un hémisphère ou de l’autre, il y a le grand meurtre : « Nous savons que, dans ce monde où le Christ mourut, ‘la vie naturelle’ a atteint son terme […] De ce monde, le Christ fut rejeté. Il était l’expression parfaite de la vie telle que Dieu l’avait voulue. […] Son cœur battait la pulsation du monde et le monde l’a tué. Mais, par ce meurtre, le monde est mort. Il a perdu sa dernière chance de devenir le Paradis pour lequel Dieu l’avait créé » (Père Alexandre Schmemann, Pour la vie du monde, Paris, 1969, p. 24). Quelle que soit la beauté du monde et de ces premières journées où chantent les merles, c’est une beauté désenchantée. Si, vus à l’écran, les enfants décapités et le suppliant tiré à bout portant nous coupent l’appétit, nous découvrons, en ce temps de Carême, la profondeur du jeûne.
La mort de Dieu
À plus forte raison, le rejet du Christ, l’auto condamnation du monde sur le Calvaire, l’expulsion de Dieu, de son Incarnation, la mort de Dieu, dont parle Nietzsche, et que, comme il l’écrit, « nous avons tué », nous font oublier de boire, de manger et de jouir. Le Carême, au sein d’une nature en fête, et d’un monde qui propose le bonheur, n’est pas le ramadan des chrétiens – il est le grand deuil : derrière les hommes que l’on tue et les femmes humiliées, c’est Dieu que l’on assassine et que l’on viole, le Christ toujours supplicié en ceux qu’on supplicie. « Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas connu », dit saint Jean (1, 10). Le rejet continue, médiatisé par nos écrans. « Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde », écrit Pascal. Derrière l’homicide, le déicide. Supprimez Dieu, vous supprimez l’Homme. Le rejet du Dieu Homme fut définitif ; « Il a été crucifié pour de bon » (ibid.) et la Croix est dressée pour toujours sur le monde amer. Nous la vénérons en sachant que l’Histoire est un immense Vendredi saint.
La joie pascale
« Pourtant, dès sa naissance, le christianisme a été la proclamation […] de la seule joie possible sur terre » (ibid.). Dans la création désenchantée où les pierres se fendent de douleur, le chrétien triomphe par une joie nouvelle, celle d’en haut, qui ne doit rien à ce monde. « Voici : je vous annonce une grande joie », dit l’ange (Luc 2, 10). L’Église de Dieu invite à la joie pascale : « Entre dans la joie de ton Maitre » (Matthieu 25, 21). Cette joie n’est pas scandaleuse ; elle ne maquille pas l’horreur de ce monde ; elle ne nie pas la torture et le meurtre, ni l’éradication de certains peuples : la résurrection ne nie pas la mort !
Le triomphe de l’amour
Le printemps charismatique du matin de Pâques, la beauté des myrrhophores en femmes transfigurées, la lumière incorporelle et radieuse jaillie du tombeau vide, l’arbre printanier de la Croix de vie, ne mentent pas, ne rassurent pas, n’assurent aucune compromission avec le déicide. Mais, la liturgie est « eucharistique », louange pour un si grand amour, montré par le Christ exécuté, et pour le banquet pascal de son pardon et de sa sagesse. Car, enfin : supplicié, outragé, rejeté et saigné sur la Croix, Il triomphe comme amour ; rien n’empêchera Dieu d’être ce qu’Il est : amour, vérité, vie, bienveillance pour tous y compris pour ceux qui le rejettent. (Radio Notre-Dame, 22 mars 2015)