L’image –
Le statut de l’image a été précisé par la tradition de l’Église, notamment à la suite de la crise iconoclaste et des persécutions qui ont eu lieu à l’encontre des chrétiens vénérant les saintes icônes. Saint Jean Damascène a fait la synthèse de la foi de l’Église : dans l’icône, je vénère, non la matière elle-même, mais la personne révélée ; ma vénération s’appuie sur le visible et le sensible pour s’adresser à l’invisible. D’une certaine façon, dira-t-on, on pourrait suggérer que, devant toute image – dessin, photographie, portrait en peinture – l’amour que j’éprouve pour la personne qui apparaît la rejoint en sa présence invisible. On voit des personnes, et pas seulement des enfants, embrasser une photographie, ou une lettre. Nous avons conscience que notre communion avec la personne, de Dieu ou du prochain, utilise un support matériel choisi.
La présence
Toutefois, l’icône atteste la présence de façon plus complète. Ce n’est pas seulement le signe visible de la présence invisible que nous avons sous les yeux ou sous les doigts. Nous avons ici l’image de la personne transfigurée. La photographie montre une réalité limitée, celle que l’objectif capte et fixe, selon un angle de vue, suivant une dimension de l’espace ; elle ne transfigure pas. L’icône fait la synthèse de tous les éléments visibles et invisibles où se reconnaît la personne ; elle est, sous nos yeux et palpable de nos mains, la matière transfigurée ou métamorphosée.
La transfiguration
L’icône est une métamorphose, elle n’est pas une représentation. Elle ne nous propose ni réalisme, ni symbolisme. Elle nous propose sacramentellement la présence concrète de quelqu’un et d’un évènement. Si nous avions une photographie du Christ ou de la Mère de Dieu, ou une photographie de l’entrée du Seigneur à Jérusalem, nous leur préférerions leur icône : l’icône du Christ est plus vraie – dans le sens d’une vérité totale et synthétique – que la photographie ou le portrait peint dessiné ou peint du même Seigneur. Le refus de l’image en tant que représentation religieuse dans la Bible a une profonde raison d’être : l’icône est la seule réponse à cette position traditionnelle, parce qu’elle atteste l’Incarnation. On ne mettra donc pas dans l’église, en tant qu’espace liturgique consacré à la Présence, de photographie d’un bas-relief roman ou byzantin, par exemple, ni la photographie d’un saint.
L’image en « différé »
Pour des raisons analogues, la photographie elle-même d’une icône ou d’une fresque est à remplacer le plus vite possible par l’icône elle-même, écrite, dessinée et peinte dans la prière et dans la foi. Une photographie des saints Dons ne serait pas la réalité sacramentelle de l’Eucharistie ! L’écoute d’un enregistrement du chant ne peut remplacer le chant lui-même accompli dans la célébration ; l’office à la télévision ne remplace pas l’office lui-même, même en direct, à plus forte raison en différé. Le devoir des prêtres est d’apporter aux isolés le Corps et le sang du Christ en toute réalité.
L’icône, la Croix et l’évangéliaire – en tant qu’icônes également – sont les seules images qui assurent, en cohérence avec les saints Dons eux-mêmes, la Présence. Elles ne sont justement pas des représentations en « différé ». Elles ont un caractère artistique sans être artificielles. Et la multiplication des copies de sculptures, d’icônes ou de fresques ne semble pas donner conscience de la réalité iconographique de la présence de Dieu et de ses saints. À l’ordre du jour d’un concile panorthodoxe, il faudrait mettre le statut de l’image photographique et cinématographique qui envahit notre espace culturel.