L’effluve de l’Esprit –
Cette question est de toujours ! Si nous n’avons pas la grâce, nous voulons l’acquérir ; si nous l’avons, nous ne voulons pas la perdre. C’est l’enjeu de toute notre vie dans l’Église, avant même le saint Baptême où nous fut donnée la grâce de la filiation divine et de l’immortalité en Dieu. Le fait même de demander le baptême pour soi ou pour autrui, par exemple pour son enfant, est déjà une manifestation de la grâce. Sans elle, sans cet effluve de l’Esprit, l’homme n’aurait même pas l’idée de chercher Dieu et encore moins de s’unir au dieu qui s’est uni à l’homme.
La grâce incréée
D’où nous est venue cette grâce si ce n’est des entrailles de la miséricorde divine ? Elle est une impulsion douce, une inflexion intérieure vers la volonté du Père, le bonheur de ressentir la communion des saints et des anges, la familiarité divine ; le tressaillement d’un cœur qui découvre l’amour ; le pressentiment de la vraie vie ; l’anticipation du bonheur sans fin ; le délice d’écouter le Maître parler à notre cœur de disciple ; le penchant irrésistible et pourtant libre à aimer même ceux qui ne nous aiment pas ou que nous n’aimons pas. La grâce ? Une influence sans pression ; une invitation sans séduction ; une motion sans pouvoir ; une attraction à laquelle on peut dire non ; une sensation intérieure de paix et de tranquillité ; l’évidence douce de la vérité.
Être conscient de la grâce
Quand nous le goûtons, cet état de légèreté et de paix, ou encore de facilité, car la grâce rend le fardeau lui-même léger, est ce qu’il y a de plus précieux. Ce don gratuit, cette faveur divine, cette injustice qui nous est faite à notre avantage, car nous n’avons pas fait grand-chose de bon, il est important déjà d’en être conscient. Certains n’ont aucune conscience du don de Dieu. C’est pourquoi le Verbe dit à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu ! » Être attentif à soi, à ce qui se passe à l’intérieur, au ressenti, à la lumière dont jouit soudain notre esprit, aux idées nouvelles qui nous viennent : ceci précède la garde de la grâce. La garde de la grâce va avec la garde du cœur, une extrême vigilance à cet espace intérieur où repose la rosée céleste.
Cultiver la grâce
L’activité intérieure aide à cultiver la grâce reçue. Celle-ci est immatérielle ; elle est incréée ; elle est divine. Pourtant, elle se cultive. L’amour se cultive. La joie, la paix se cultivent. Notre esprit, cette fine « intuition » de l’âme, est le gardien du cœur et de la grâce qui y repose. Des paroles très courtes peuvent être prononcées à l’intérieur du cœur à l’adresse de celui qui nous communique la grâce qui sourd de lui : « Kyrie eleison ! Seigneur, miséricorde ! » ; ou : « gloire à toi, Seigneur, gloire à toi ! » Saint Siméon le Nouveau Théologien faisait cela. On peut également dire un psaume, par exemple le 143, mais surtout être attentif à son propre cœur pour ne pas laisser s’envoler le passereau mystérieux qui s’y est posé.
Les prières de l’Église
Les prières après la sainte Communion ont cette utilité. Toutefois, il ne suffit pas de les dire : la grâce s’enfuirait ! Prononçons-les lentement, consciemment ; adressons-nous à Quelqu’un qui est présent et qui nous écoute. Savourons chaque mot ; ralentissons le pas, comme quelqu’un qui transporte un récipient plein à déborder. Ne brusque pas la grâce ! Traite ton cœur avec précaution ! Ne va pas répandre le nectar sans prix qui t’a été confié. Tenons-nous à l’écart pour lire, ou plutôt pour dire, ces prières d’action de grâce, notamment celle qui s’adresse à la Mère de Dieu. De celle-ci il est dit qu’elle « gardait dans son cœur » les paroles qu’elle avait entendues. De la Mère de Dieu, nous apprendrons à garder la grâce : comme elle porte le Seigneur sur son cœur ! Comme elle aime la Parole en Personne !
Délivre-nous du Malin !
Un ancien nous disait : l’Ennemi t’attend à la porte… Il est vrai que, si nous ne sommes ni vigilants, ni attentifs, ni tendrement présents à la Présence ; si nous ne nous gardons pas nous-même : une rencontre, une pensée, une parole, un souvenir, une image peuvent nous faire vaciller et buter, et verser ainsi la liqueur d’or que nous portions dans notre cœur. Un rien nous fait trébucher. Une miette nous fait tomber dans l’impatience, l’agacement, et nous oublions d’aimer, nous sommes projetés à des milles de l’amour du Christ et surtout du sentiment intérieur que nous en avions. Nous voilà avertis : l’après liturgie, l’après communion, l’après prière sont des minutes fragiles. Bienheureux qui, par l’humilité, reste en état de grâce une heure ou deux, quelquefois la matinée. Bienheureux qui passera ce jour sans péché !