Ennemi mortel –
Quand nous sommes exaucés, l’Adversaire cherche à confisquer la grâce. Il ne vit qu’à nos dépends, comme un parasite. Au Paradis, nous voyons bien comment il chercha et réussit à détourner Adam de Dieu pour l’attirer vers lui. La vanité, ou vaine gloire, est la passion que l’Ennemi veut semer dans notre cœur. À l’exemple de celui-ci, elle consiste à s’approprier un succès. Au fond, la vanité est un vol, le détournement du bien d’autrui. Elle est une glorification de soi. Nous pensons alors, par exemple, que notre prière est efficace en elle-même, comme si nous étions de grands magiciens, rendant inutile la présence de Dieu dans son monde. La vanité est une auto déification. Nous pensons également quelquefois que nous avons été persuasifs devant le Seigneur, et que nous sommes forts devant Dieu – dieu contre Dieu ! Peut-il exister un autre dieu que moi ?, pense l’Adversaire.
La jouissance
La vanité, cette passion mortelle, ne serait pas si puissante si elle ne produisait un extrême plaisir. Elle est la luxure des démons : étant incorporels, ils ne jouissent que spirituellement. Nous, de même, nous éprouvons une satisfaction extraordinaire à être flattés par autrui, par le démon qui nous félicite de prier si bien et d’avoir gagné sur Dieu. Ou bien nous éprouvons du plaisir à nous flatter nous-mêmes, sans avoir besoin même de l’intermédiaire des démons, par un plaisir solitaire et malsain. Le vaniteux est un Narcisse qui contemple en lui-même l’image spirituelle de lui-même. Elle est la grande illusion, cette chute « par le haut » dont parlent certains ascètes.
Le Salut
Le vaniteux ne peut être sauvé, si l’on entend bien le Salut comme participation joyeuse à l’être de Dieu. Le Salut étant l’émerveillement à l’égard d’autrui, à commencer par le Seigneur, le vaniteux, qui n’admire que lui-même, se prive lui-même de la jubilation des saints. Il se ferme la porte du Paradis et du Royaume. Il se condamne à ne jouir pour l’éternité que de lui-même. Aussi la vanité engendre-t-elle la tristesse, et une tristesse sans fin, parce qu’elle cherche sans fin à s’alimenter à nouveau et qu’elle n’y parvient pas. La vanité, pour cette raison, engendre la frustration, la colère, la méchanceté, la condamnation et l’exécution – si possible – d’autrui. Les vaniteux sont souvent pleins de jugement à l’égard des autres, et même de Dieu. La vanité produit l’enfer de l’autosuffisance.
Des remèdes ?
Nous ne parlons ici que de la vanité qui survient suite à un exaucement, quand nous nous félicitons des fruits de notre prière. Le premier remède consiste à rendre grâces à Dieu, dès que nous sentons les premières atteintes du poison. Nous devons nous administrer ce médicament le plus tôt possible, car, ensuite, la passion étant installée, nous la préférerons à la santé. « Gloire, non pas à moi, mais à toi, Seigneur Jésus, gloire à toi ! » Un deuxième remède consiste à remercier Dieu d’avoir écouté la prière d’un frère : « Gloire à toi pour ton serviteur Untel, Seigneur Jésus, gloire à toi ! » ; « gloire à toi qui as exaucé la prière de ton serviteur Untel… » On le voit, la médecine consiste ici à renoncer à s’attribuer quelque mérite que ce soit dans l’issue favorable de la prière.
Le souvenir des péchés
Une troisième potion est le souvenir de nos péchés, qui engendre le repentir. Quand nous pensons à ce que nous avons pensé ou imaginé, à ce que nous avons dit ou à ce que nous avons fait, notre cœur est confondu par la honte, par l’horreur, par la douleur de s’être éloigné librement du Seigneur. La vanité n’a plus alors de prise sur nous. Le démon de la vaine gloire ne peut happer celui ou celle qui pleure ses péchés. Surtout, ce qui nous rend invulnérables, c’est de nous humilier devant Dieu et devant les esprits incorporels, par une prière de pénitence, par exemple : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur et débauché ! »
L’indulgence
N’ayons aucune indulgence pour la vanité. Par elle, nous perdons tout : ce que Dieu a accordé à notre prière nous sera retiré ; la grâce de connaître la miséricorde divine nous sera inaccessible ; la foi en Dieu s’atténuera jusqu’à disparaître si c’était possible ; nous n’aurons plus la moindre familiarité avec le Créateur. Nous serons le jouet des démons qui ont préparé leur royaume pour ceux qui se croient l’auteur des biens et qui ne savent pas « rendre à Dieu ce qui est à Dieu ». Lisons dans l’Échelle sainte de Jean Climaque les paragraphes consacrés à la vaine gloire, pour être convaincus davantage du sérieux de ce sujet !