La langue –
Le lien de la vie religieuse et de la culture est très important. Il revient à beaucoup d’égard au lien que les croyants entretiennent avec l’histoire ancienne et récente de leur pays. La religion est profondément mêlée à la langue dans laquelle nous prions personnellement et liturgiquement, à la langue maternelle, à celle que nous parlons à la maison, à celle, comme a dit un de nos prêtres, dans laquelle nous rêvons. L’expérience religieuse n’est jamais abstraite, désincarnée ou a-culturelle. Des peuples entiers ont souffert de ce qu’un pouvoir ou un autre leur imposait pour le culte une langue étrangère, celle de l’occupant. Et ces mêmes peuples ont relevé la tête quand ils ont pu lire la Bible, chanter les psaumes et dire le Notre-Père dans leur propre langue, par la grâce du saint Esprit. Il serait irréel de priver, dans un contexte multiethnique, un peuple ou un autre des richesses ataviques de sa culture: ce serait le priver des moyens d’entretenir son identité non seulement nationale mais religieuse elle-même.
Formes, couleurs et sons
La richesse culturelle de la religion est faite également d’images et de mélodies. On sait très bien que chaque Église territoriale a souvent son style iconographique, comme elle a son ou ses patrimoines musicaux – car il y a quelquefois plusieurs traditions musicales dans un même pays. On ne dirait pas que chaque peuple a le droit d’exprimer sa foi dans les catégories culturelles qui sont les siennes, car il ne s’agit pas d’un droit. Il s’agit de vie et de conscience. On dira plutôt que c’est une aspiration presque instinctive, liée souvent à des impressions de l’enfance, aux personnes qui se sont penchées sur notre berceau, à l’amour que nous avons pour notre patrie, son histoire, ses joies et ses peines, et ses coutumes. C’est l’oeuvre de l’Esprit en chaque peuple. Même dans les époques de grand déracinement, de migration, la mémoire de chaque nation ou ethnie, est portée par des sons, des paroles, des images, des formes: c’est une mémoire fortement incorporée. Il serait irréel d’imposer à un peuple la culture d’un autre: ce serait l’empêcher d’enraciner sa foi dans son propre vécu, en faire un émigré dans son propre pays. Ce serait éteindre l’Esprit.
Inculturer
Ce mot ne signifie pas priver de culture, rendre inculte! Il signifie au contraire la valorisation d’une culture par l’investissement religieux qu’on y apporte; et il signifie également donner à la religion que l’on veut pratiquer la coloration et la résonnance auxquelles notre sensibilité se reconnaît chez elle. Inculturer veut dire intégrer un patrimoine, par exemple un patrimoine religieux, dans une culture, celle dont vivent les habitants d’un lieu. Saint Cyrille et saint Méthode ont ainsi inculturé la tradition orthodoxe quand ils ont créé une langue liturgique locale et son alphabet pour les Slaves. Saint Germain d’Alaska traduisit en aléoutien les textes utilisés par l’Église orthodoxe. Les paroisses orthodoxes composées des ressortissants de chaque pays sont capables d’inculturer la tradition des saints Pères par la langue, par le style iconographique, par le caractère des mélodies qu’elles chantent. Inculturer, dans certains cas, peut signifier intégrer dans la culture locale une richesse qui a déjà ses racines en amont de l’histoire de ce pays.
La Pentecôte
Le travail musical de Maxime Kovalevsky est un exemple caractérique de ce travail d’inculturation du point de vue musical: il a pris des formules mélodiques occidentales associées à la langue française pour la célébration liturgique. L’inculturation iconographique pour ce qui est d’elle est illustrée par le travail de l’atelier Saint-Jean-Damascène par exemple: on y apprend à rejoindre la source romane de l’image. La paroisse orthodoxe Saint-Germain-et-saint-Cloud n’a pas fait autre chose depuis les quarante ans de son existence qu’inculturer la tradition; en particulier, depuis les années 90, elle a inculturé le corpus liturgique gréco-slave appelé encore byzantin. L’évènement de la Descente du saint Esprit le jour de la Pentecôte (Actes 2, 1-11) est le type même du phénomène d’inculturation.
Acculturer
L’acculturation est presque le phénomène inverse. Cela consiste pour une personne ou pour un peuple à adopter une culture étrangère afin de s’assimiler. Par exemple, un Français, pour pouvoir devenir membre de l’Église orthodoxe, pour sentir reconnu, ne devrait pas se contenter de confesser la vraie foi, et il se sentirait obligé d’apprendre le slavon, de prier dans cette langue, voire de parler le russe ou une autre langue pour pouvoir être Orthodoxe. L’acculturation résulte d’un besoin de s’intégrer dans un groupe plus important que le sien. À l’inverse, tel groupe issu de l’émigration refuse quelquefois de s’acculturer et d’user de la langue locale dans le culte parce qu’il pense qu’en faisant cela, il va perdre sa culture, il va changer de culture, il va trahir son identié. La résistance à l’acculturation, de la part des fidèles issus du pays ou de celle de ceux qui y arrivent, est un phénomène très compréhensible et très important, parce que la langue et les coutumes dans lesquelles on a vécu son expérience religieuse ou dans lesquelles on voudrait la vivre pour ne pas se déraciner, ont toute leur valeur.
Entre acculturation et inculturation
Ce dilemme a été celui des communautés orthodoxes organisées au cours de ce siècle en Europe ainsi que dans les nouveaux mondes comme les États Unis, l’Australie, la Nouvelle Zélande. L’Église du Japon, quant à elle, a assez bien réussi son inculturation grâce à la conscience missionnaire de saint Nicolas, son fondateur après Dieu.