L’attente impatiente –
Il y a dans un cœur baptisé une sorte d’allégresse quand on approche de cette période, la plus belle de l’année, au dire de certains. C’est un espoir, l’impatience de se renouveler, de changer quelque chose dans notre vie, de trouver un autre rythme, comparable à la joie qu’on éprouve en partant en vacances ou en voyage ! Dès le pré Carême – le dimanche de Zachée, par exemple – il y a quelque chose en nous qui piétine d’impatience, parce que l’heure approche d’une vraie familiarité avec le Christ, qui veut venir chez nous, dans notre vie. Zachée est le type de l’amour impatient pour le Seigneur.
Restauration de la vie paradisiaque
Le grand Carême est le temps de la restauration – plus ou moins, soyons modestes ! – de la vie naturelle. Par exemple : le pardon mutuel restaure la transparence entre les frères et entre tous les hommes ; l’alimentation végétale est celle que Dieu propose à Adam au Paradis ; le renoncement à la nourriture carnée est une rupture avec le sang versé et avec toutes les formes (intérieures ou extérieures) de violence. Nous voyons alors les animaux, non plus comme des proies propres à satisfaire notre gloutonnerie, comme des objets, mais comme des créatures de Dieu, évoluant sans peur. Il y a une profondeur écologique du Carême. Cette redécouverte des créatures est vraiment gratifiante. Nous pourrions voir le monde comme il nous est donné par la main du Créateur et apprendre à le respecter. Et nous attendons Pâques pour prendre ces nourritures annonciatrices du royaume sans violence, sans guerre, sans conflits que sont l’œuf – symbole également de la catholicité de la révélation – et les laitages. Le lait sera substitué au sang et le miel sera la douceur de la connaissance amoureuse de Dieu.
Réconciliation avec Dieu et avec les hommes
Nous retrouvons une forme de familiarité avec le Créateur en entendant, et en écoutant, sa parole dans les offices plus nombreux dont nous jouissons. Nous nous réconcilions avec lui en reconnaissant nos fautes et le mur de la honte et de la culpabilité est dissipé. Avec autrui, nous retrouvons les relations naturelles par la transparence, la chasteté et l’amour véritable. Le prochain – ou la prochaine ! – asservi souvent par des formes d’objectivation, nous apparaît sans convoitise, sans esprit de pouvoir, dans la beauté de sa personne. Bénéfique est à cet égard le jeûne conjugal. Le Carême est le temps de la transfiguration de l’éros et de tous les désirs, des passions que le Christ, au désert, nous a appris à détourner : désir de jouir, désir de posséder, désir de dominer. Nous les convertissons en désir de jouir de Dieu, de posséder son royaume et d’exercer une authentique royauté à l’égard de nous-mêmes et à l’égard des créatures.
Renouveau de la démarche eucharistique
La grande et sainte Quarantaine est centrée sur la communion eucharistique. L’office des Dons présanctifiés nous invite, les mercredis et les vendredis, à nous nourrir exclusivement de la vie divine. Il est la réponse à la désobéissance adamique qui ne sut pas attendre pour jouir de l’Arbre de vie. Nous communions également tous ces dimanches de Carême qui sont de grandes fêtes. Nous découvrons à nouveau le lien de notre faim, de notre soif, de notre désir de vie, avec l’alimentation divino humaine. Nous évitons à la fois le consumérisme sacramentel et la sous-alimentation spirituelle !
L’acquisition de l’Esprit
La grande impatience qui parcourt tout le temps du Carême est celle de voir la gloire de Dieu, la gloire de son amour compatissant irradiant toute la Semaine sainte, la lumière glorieuse de sa Résurrection. Mais elle est orientée tout entière vers la venue de l’Esprit. L’itinéraire du saint et grand carême de Pâques ne nous conduit pas seulement à glorifier le Ressuscité : il est, plus fortement encore, l’acquisition de l’Esprit en sa glorieuse Descente. Le but ultime du Carême est la Pentecôte. Toute notre ferveur est tendue vers ce feu que, d’auprès du Père, le Fils ressuscité et glorifié enverra. Et ce même Esprit, à son tour, rendra pour nous le Fils présent dans le Corps de son Église tous les jours jusqu’à la fin des temps.
Le repentir
Le Carême, et la vie tout entière des baptisés, est la conquête de la vie éternelle, celle du Fils, celle de l’Esprit, celle que donne le Père, à travers l’expérience de la mort volontaire. Le repentir est une mort volontaire à ce qui nous tue, nos péchés innombrables. Le repentir met la mort à mort. Il te fait connaître, au lieu de la mort mortifère, la mort vivifiante. L’expérience du repentir comme horreur et détestation du péché est l’actualisation à la mesure de chaque personne de la réalité pascale qui ouvre la porte à l’Esprit de Pentecôte. Elle est une entrée volontaire dans la mort, parce qu’elle consiste à voir en vérité ses péchés, c’est-à-dire le règne de la mort dans notre vie. Le jeûne y aide, confrontation volontaire à la mort. La mise à mort de la mort se fait par l’entrée volontaire dans son royaume pour la déposséder par un repentir véritable où les larmes baigneront, comme un nouveau baptême, notre être intérieur pour le faire émerger dans la vie nouvelle. Baptême des larmes, dit saint Éphrem…
L’apprentissage de la joie
L’homme, ayant perdu le Paradis, ne sait plus se réjouir. Il y a bien des fêtes en ce monde, mais elles ont un goût bizarre. Le Carême est l’école de la joie en Dieu, de cette joie indicible, incompréhensible, qui nous est donnée par le saint Esprit, du haut de la Croix et au jardin de Gethsémani. Chaque dimanche de Carême est un horizon de lumière et de joie vers lequel la semaine de deuil nous conduit. Chaque fois que nous prosternons pour toucher d’un doigt funèbre la poussière du tombeau, nous nous relevons pour croiser dans l’icône le regard du Ressuscité ! Et le chant de l’Alléluia résonne, bien plus que pendant toute l’année, et sur tous les tons !
De la mort à la vie
La joie est, pour l’homme, dans ce passage continuel de la mort à la vie, dans le sentiment d’une naissance continuelle à un mode d’existence plus grand, plus vaste, à une vie qui n’est pas le prolongement indéfini de cette vie que promettent les sirènes, ni dans une survie, ni même dans la dilatation de cette vie. Non : il s’agit d’une tout autre vie, absolument nouvelle, qui n’a pas même été au Paradis, et dont la créature n’a pas idée : cette vie que nous touchons du doigt, comme Thomas, dans la Personne de Jésus, le Messie qui fait entrer à jamais l’humanité dans la familiarité du Père.