La libre existence –
« L’existence objective de l’Homme n’est pas contingente : comment aurait-il pu ne pas exister, lui en qui la divine Trinité révèle tout son amour ? – lui qui de toute éternité est voulu par Dieu. Pourtant, son être ne dépend d’aucune nécessité, à plus forte raison d’aucune fatalité : l’existence de l’Homme est produite dans la liberté absolue de l’amour divin, elle n’est le produit d’aucune cause. L’agir divin lui-même n’est pas déterminé par une cause. En ce sens la création ne s’explique pas : elle est l’objet de la glorification émerveillée des anges et des hommes ; mais elle ne répond pas à la question ‘pourquoi ?’. Elle ne dépend d’aucune loi: ‘La relation entre nous et Dieu Trinité est une relation d’amour, non déterminée par une loi’ (P. Dumitru Stàniloae). Elle n’a sa ‘raison (logos) d’être’ que dans le Logos du Père, ‘logique’ divine, inexplicable et incompréhensible qui est celle de l’amour et de la liberté ; ‘logique’ de la Trinité qui est vie et amour en toute plénitude. La création de l’Homme est ‘un acte exceptionnel de Dieu’ (Christos Yannaras). Aussi faut-il, pour que le vouloir divin soit en plénitude manifesté, que la liberté humaine accepte son propre être et sa propre existence. Paradoxalement, la liberté n’est conditionnée que par la liberté. Toute la ‘vie en Christ’ (saint Nicolas Cabasilas) n’est peut-être pas autre chose que l’acceptation en toute liberté du don divin de l’existence humaine : la grâce de recevoir de Dieu sa propre humanité, de vouloir ce que Dieu veut en devenant Homme […] S’accepter comme homme en toute liberté et en tout amour est la vie de fils.
Le projet divin
« Il est incompréhensible pour la logique humaine que l’existence de l’Homme – et de toute créature – n’ait d’autre raison d’être que l’amour. Incompréhensible également que ce ‘projet’ pour sa créature – projet à la fois de création et de réalisation – ne soit pas pour elle une détermination absolue, et que cet ‘horizon’ (saint Jean Damascène) soit, bel et bien, liberté absolue. Dans le même sens le saint apôtre Paul dit que le Seigneur nous a ‘prévus conformes à l’image du Fils’ (Ro.8, 29). Le dessein, ou pronostique, prééternel du Père appelle l’obéissance libre, l’acceptation libre du projet d’humanité que le Père a pour nous – l’obéissance dans le même amour, ‘si nous nous ouvrons nous aussi à lui avec l’amour qui reçoit sa puissance de son amour’ (P. Dumitru Stàniloae). Le projet antérieur à tout temps qu’a Dieu pour la créature humaine n’est pas une prédétermination ou une prédestination. Il est une vocation prééternelle. L’amour véritable ne détermine pas. Pour approcher de la contemplation de ce mystère, comme pour nous approcher de tout mystère, particulièrement de celui de l’incompréhensibilité divine, il nous faut nous purifier d’une conception psychique de l’amour. L’amour divin est l’‘horizon’, le projet inconditionné et ‘inconditionnant’ selon lequel peut s’accomplir l’être créé, en fonction de l’acceptation libre du vouloir divin qui est appelé obéissance.
Dieu s’émerveille
« Un exemple de cela est donné, dans l’ordre particulier qui est celui de la vocation de la personne créée, par la vocation des prophètes et, après eux, par celle de la Mère de Dieu. ‘Proposition’ prééternelle, cet appel divin accepte – aspect de la kénose-abnégation divine – d’être lui-même conditionné par le consentement de sa créature. L’amour divin ne conditionne pas : c’est lui qui est en toute liberté crucifié à la liberté d’autrui. Le Dieu Amour se met à la merci de l’Homme non moins Amour. Librement, l’amour accepte la condition d’esclave (Ph.2, 7) et de ‘serviteur souffrant’ (Isaïe, 50) de l’aimé, attendant en toute patience (cf. : ‘Je suis à la porte et je frappe’, Apoc.3, 20) la réponse imprévisible. Dieu conjugue de façon antinomique d’une part son omniscience et sa patience qui ne préjugent pas, d’autre part sa toute-puissance (‘souveraineté’, plus exactement, si l’on veut traduire le sens de Pantocrator, qui signifie que Dieu gouverne tout, est le Maître de tout.) et le respect de la liberté créée, traitée par lui comme absolue. Et Il se met librement dans la situation d’être surpris par l’homme (cf. Mt.8, 10 et 15, 28), heureusement ou douloureusement surpris. Car, pour être une vraie liberté, celle de l’être humain doit être imprévisible : dans son abnégation-kénose, le Seigneur voile également son omniscience, afin d’être étonné par sa créature. » (La vision divine de l’homme, à paraître)