L’intuition –
Les hommes ont toujours eu l’intuition de l’âme. C’est notre expérience. Nous percevons dans autrui une profondeur inexplicable, la complexité incompréhensible de ses sentiments, de ses pensées, de sa volonté, de sa liberté, de son imagination et de ses projets. Plus profondément encore, au-delà de ce qui fait le psychisme et la personnalité, nous percevons l’identité de celui ou celle qui est devant nous – sa personne, plus grande que son corps et que son âme. Nous connaissons donc, de façon existentielle et expérimentale avant tout, qu’autrui a une âme. Nous savons que la personne que nous aimons ne se réduit pas à son corps, et que celui-ci est la forme sensible d’une profondeur insaisissable et inaccessible à l’appréhension sensible.
La Tradition
La Bible, et tous les livres anciens de l’humanité, confirment cette intuition. Le livre de la Genèse dit que le Seigneur Dieu a façonné l’homme dans sa dimension corporelle (visible, sensible, palpable) et dans sa dimension de profondeur, inaccessible aux sens, incompréhensible à la connaissance rationnelle. L’âme est la face cachée du corps, son énigme, sa rationalité, son mystère et sa logique. Pour les Anciens, l’âme comporte une dimension ‘psychique’ – faite pour l’imagination, la rêverie, les sentiments, les impressions – et une dimension rationnelle – pour l’intuition, la réflexion, l’intelligence, la pensée. De plus, le Seigneur Dieu a insufflé dans l’âme de l’humanité première quelque chose de son souffle, de son Esprit. L’âme humaine est ‘vivante’ (Gen 2) parce qu’elle est vivifiée par le Souffle de vie qui est l’Esprit du Père. Nier l’existence de l’âme humaine est propre aux barbares qui s’arrangent d’une humanité purement animale, corporelle et superficielle, réduite à ce que l’on connaît d’elle par les sens, et vite traitée comme un objet.
La profondeur de l’âme
L’âme a une profondeur : la complexité de ses facultés de conscience de soi, de rationalité, de maîtrise du langage, de sensibilité et d’imagination créatrice. Plus grande encore est la profondeur abyssale que lui donne la présence, non du saint Esprit en personne, mais des arrhes de l’Esprit, ce souffle exhalé dans les narines de l’homme premier, grâce et énergie de l’Esprit qui attend la glorieuse descente de l’Esprit en personne pour demeurer dans son temple qu’est le croyant. Une autre profondeur encore est celle de la personne : celle-ci ne se ramène ni au souffle de vie, ni à l’âme rationnelle (ou noétique), ni à l’âme psychique (imagination et sentiments), ni, à plus forte raison, au corps (sensations). La personne est l’identité, correspondant au nom, le sujet, le Je qui préside à toute injonction, à toute supplication et à toute louange. À la différence du corps et de l’âme dans ses diverses dimensions, la personne ne peut jamais être appréhendée comme un objet : elle est, irréductiblement, un sujet. Elle est la profondeur indépassable à la fois du corps, de l’âme et de l’esprit humains ; elle les transcende tous les trois ; elle est le for intérieur de toute individualité humaine ; c’est elle qui est, à proprement parler, marquée du sceau de l’image divine.
L’immortalité
L’âme n’est immortelle qu’en participant à la divinité. Elle n’est pas immortelle en elle-même, si l’on suit la conception biblique. Elle est immortelle quand elle est unie au Seigneur, par la foi, par des œuvres de bien, par la grâce du saint baptême, par la participation à tous les sacrements. En fait, l’âme est, dans beaucoup de textes bibliques et patristiques, synonyme de vie : « sauve nos âmes », dans la prière au saint Esprit, se traduit simplement par « sauve notre vie », ou encore « sauve-nous ». Par un certain flou de la terminologie, l’âme renvoie encore à la personne, comme dans l’expression ‘un village de plusieurs centaines d’âmes’, c’est-à-dire de personnes.
La mort
Suivant la tradition biblique que suivent les chrétiens, l’âme et le corps sont étroitement unis pour la vie commune en ce monde. Après la mort, le troisième jour précisément, ces deux composants se dissocient, ce que montre la décomposition physique. En effet, l’âme, elle-même vivante grâce à l’esprit insufflé en elle, rend le corps vivant. Se sépare-t-elle de lui par le trépas, celui-ci se dissocie dans les éléments dont il a été façonné et il retourne à la terre. C’est pourquoi les funérailles et l’ensevelissement doivent avoir lieu avant le quatrième jour : jusque-là, l’être humain demeure un vivant à qui l’on parle et que l’on fait parler par l’intermédiaire des prières de l’Église. À la Résurrection finale, l’âme et le corps se retrouveront dans l’identité qui leur vient de la personne, elle-même conservée par le Seigneur, soit au Paradis, soit en enfer, mais en tout cas jamais anéantie. Car la mort n’est pas le néant, et le Seigneur des vivants et des morts n’a rien créé pour le néant ; Il a tout fait pour la vie éternelle.