La porte du Salut –
Aujourd’hui, dimanche du Pardon, nous entrons solennellement dans le saint et grand Carême. Après la divine liturgie, à la fin de l’office de vêpres, nous nous prosternerons les uns devant les autres en disant : Pardonne-moi et prie pour moi ! Cette demande rythmera toute la période de carême. Pourquoi ? – parce que je ne peux prétendre entrer dans le Royaume ni dans le Paradis si quelqu’un parmi mes frères a quelque chose contre moi ; si j’ai blessé volontairement ou involontairement un membre du Corps du Christ. Le pardon mutuel est la porte du Salut.
La cohérence de Dieu
Nous pouvons avoir accompli tous les commandements, nous être dévoués aux pauvres et aux prisonniers, avoir veillé les malades et nourri les mendiants, s’il nous manque le pardon d’un de nos frères, ou si nous omettons de pardonner à l’un de nos frères, nous ne pourrons être sauvés : nous pourrons toujours pleurer à la porte du Paradis, le Seigneur nous dira : va déjà te réconcilier avec ton frère et reviens (Mat 5, 4), Je t’attends. Dieu est très cohérent. Il ne veut pas que nous soyons en contradiction avec nous-mêmes. Et Il ne veut pas non plus que nous tentions, consciemment ou non, de le mettre en contradiction avec lui-même.
Le pardon libérateur
Ainsi le dimanche du Pardon nous ouvre toute la liberté d’aller vers le Salut, vers la familiarité du Père. Comment voudrions-nous qu’un Père accepte que ses fils ne soient pas réconciliés ? Quel père est-ce que ce serait là ? Il ne peut y avoir d’entente avec le Père s’il y a mésentente des fils. C’est déjà l’une des préoccupations de l’évangile du Fils prodigue. Le Fils de Dieu est venu dans le monde pour que les hommes puissent connaître le Père et s’approcher de lui sans ombre, en toute liberté. Or, un des signes que nous avons un père, c’est que nous avons des frères ; en devenant, par le saint baptême et la réconciliation fraternelle, frères du Fils unique et frères de tous ses autres frères, nous osons dire : « Père, notre Père ! Sanctifié soit ton Nom ! »
L’invitation à la joie
L’invitation au pardon est une invitation à la liberté, à la maturité, à la responsabilité et à la joie. La plus grande joie est celle d’être réunis en frères avec le Christ notre frère autour de notre merveilleux Père des cieux. Tel est le mystère de l’Église : la joie en Dieu et la liberté éternelle en Dieu, la familiarité sans limite avec le Père. Le Christ désigne cette façon d’exister dès maintenant et dans le monde qui vient par le nom de Royaume. Il apporte parmi les hommes la révélation et la grâce du pardon, et leur communique les clefs d’une civilisation sans pouvoir. Royaume est le nom donné à une façon d’exister selon laquelle personne n’est soumis au pouvoir de personne. Le Fils est le Roi sans pouvoir sur qui que ce soit et sur lequel personne n’a de pouvoir, comme Il le dit si bien à Pilate (Jean 19, 11).
Le Royaume
Pardonner, ou remettre les dettes, c’est entrer dans un monde sans pouvoir. Fils ou fille de Dieu est celui ou celle sur qui personne n’a de pouvoir : ni la mort, qui n’a plus d’empire sur nous, l’Apôtre le dit, ni la rancune, ni la jalousie, ni le confort, ni le plaisir, ni l’affectivité, ni la hantise d’être reconnu, ni l’illusion de l’indépendance, ni la gourmandise, ni les puissances cosmiques, ni la sexualité, ni la convoitise, ni la jouissance qu’autrui a de moi, ni le besoin d’être aimé, ni l’argent… Aucun des leviers du pouvoir n’agit sur nous parce que nous pardonnons. Pardonner, c’est renoncer au pouvoir. Aimer l’ennemi, bénir ceux qui nous tourmentent, aimer sans tenir à l’être, prier pour ceux qui nous haïssent, donner notre vie pour ceux qui veulent nous la prendre, prier pour nos bourreaux et nos geôliers, faire du bien à ceux qui nous font du mal : ce sont les signes que le Royaume de l’absence de pouvoir est advenu parmi les hommes !