L’appel à la perfection –
La parole que nous entendons en ce dimanche de la Croix est au premier abord très difficile. Nous en sommes au troisième dimanche de carême, et si nous avons pu suivre l’appel à la perfection qui nous a été adressé au début de cette sainte période, nous pouvons comprendre un peu ce que veut dire notre Maître. Toute la culture ambiante constitue une civilisation de confort et de plaisir. L’idéologie dominante est celle du progrès matériel. Nous avons été depuis l’enfance élevés dans la perspective de la réussite sociale, de la facilité et de la satisfaction de nos envies et de nos caprices.
L’emblème de l’évolution
Et voilà que nous avons un Maître qui nous appelle à évoluer en adoptant un mode de vie très différent, dans lequel la croix, sous une forme ou sous une autre, est l’emblème de notre croissance à son image et à sa ressemblance. Autour de nous, ce qu’on appelle le christianisme est souvent devenu une religion du confort et, dans les différents courants spiritualistes, c’est également le confort qui est la norme. L’appel de notre Maître est ainsi paradoxal, insolite, rebutant pour beaucoup d’hommes. Nous voudrions la facilité, un mode de vie indolore et sans épreuve, une petite routine religieuse agréable et sans histoire ; nous voudrions également un monde sans guerre, sans maladie, sans souffrance ; nous souhaitons à ceux que nous aimons la santé, la prospérité et le succès en toute œuvre de bien, notamment au nouvel An et dans les anniversaires.
L’aspiration au bien-être
Et cette aspiration à notre bien-être et à celui des autres est une aspiration légitime, que l’on trouve chez toutes les créatures. Le progrès matériel, dans le domaine social et dans celui de la santé et de l’hygiène, est, dans une immense mesure, un bien. Pourtant, l’état de la civilisation planétaire le montre, une vraie croissance qualitative de l’humanité se fait attendre. On sacrifie volontiers autrui à son propre confort. Et la juste quête d’un mieux-vivre engendre souvent un solide égoïsme : nous serions généralement incapables de sacrifier par amour pour autrui les avantages que nous avons acquis.
Le défi évangélique
La parole du Messie apporte ainsi le défi à notre culture, et propose une culture du renoncement à soi, de l’auto limitation, de la patience dans l’épreuve, par amour pour le Seigneur et pour le prochain. « Prendre sa croix », selon l’expression de notre Maître, est le programme que le disciple, dans sa vie de tous les jours, peut appliquer. Au cours du carême nous nous exerçons à nous passer d’un certain confort alimentaire, à réduire le temps du sommeil, à nous gêner pour autrui, et ainsi à nous libérer de nos caprices. Habitués à ne rien nous refuser à nous-mêmes, il est dur de se dire non à soi pour dire oui à autrui : nous faisions toujours le contraire ! Et pourtant l’enjeu est de taille : il s’agit de faire l’expérience du mode divin d’exister, celui de notre Maître le Verbe.
Le mode divin d’exister
Il s’agit d’échanger une vie consacrée à l’amour de soi pour la vie supérieure dédiée à l’amour préférentiel pour autrui. Et ce mode de vie, qui est celui des personnes divines, donne à l’existence humaine une dilatation presque infinie. L’amour divin envahit alors le cœur humain qui connaît par expérience ce que veulent dire les mots « amour », « compassion », « miséricorde ». C’est proprement l’expérience du Royaume, comme nous venons d’entendre le Sauveur le dire : certains « ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venant avec puissance ». La personne humaine peut connaître l’amour de Dieu dès cette vie ; il nous est possible de mener une vie libre des passions égoïstes ; il nous est possible d’évoluer sans cesse, de nous affranchir de la tyrannie du plaisir et du confort, jusqu’à ressembler à Dieu lui-même.
Être disciple
Suivre le Maître, prendre sa croix, c’est-à-dire saluer les épreuves permises pour notre libération, nous glorifier d’être les disciples d’un tel Dieu, nous montrer fidèles à lui dans les difficultés inévitables du quotidien, voire dans la terrible maladie, l’échec professionnel ou la faillite de la paix, nous fera reconnaître pour les amis lumineux de celui qui est Lumière de Lumière.