Déchiffrer l’Histoire –
« Les disciples étaient en route montant vers Jérusalem et Jésus les conduisait » : tel est notre itinéraire de Carême. Nous suivons Jésus notre Maître vers Jérusalem, ce centre mystique du monde, où en ce temps se livre le combat de la mort et de la vie. La Cité de la Paix est confrontée à la guerre que se livrent les puissances incorporelles et que l’Apocalypse révèle en partie. Avant d’être celle des canons et des chars, la guerre est mystique, elle se réfracte dans le monde visible, la passion du pouvoir la conduit. L’Adversaire est l’archange de cette passion, prince de l’orgueil et de tout esprit de domination et d’imposition à autrui de sa divinité auto proclamée. Apprenons à déchiffrer l’Histoire…
L’esprit de domination
Jésus nous conduit vers la Ville sainte, Lui qui est l’humilité en personne, seul capable, avec Michel, l’archange de l’humilité, de gagner la bataille pour la vie. De ce mystère nous instruit l’évangile de ce quatrième dimanche de carême. L’esprit de domination d’autrui se rencontre chez ceux qu’une responsabilité investit : les princes des anges, les chefs politiques et religieux connaissent cette affection aveuglante. Croyant souvent bien faire, sûrs de l’illusion qui les éblouit, ils entreprennent de bâtir un monde dont ils seraient eux-mêmes l’autorité suprême. Être la divinité ou l’idole d’autrui, éventuellement d’un peuple entier ou, pourquoi pas ?, de toute l’humanité, quelle satisfaction !
Le plaisir du pouvoir
La volupté de l’incorporel Lucifer est sans mesure. L’esprit de domination, comme toutes les passions, même les moins corporelles, comme l’orgueil, s’accompagne de jouissance. Les tyrans, qu’ils soient anges ou qu’ils soient hommes, sont ivres ; ils se repassent pendant la nuit l’image de leur domination. Et la plupart des despotes cherchent la complicité des chefs religieux pour partager leur plaisir. Mais il en est d’athées qui ne connaissent pas d’autres dieux qu’eux-mêmes. Le Christ, l’Innocent absolu et l’Humble absolu, marche vers la Ville de la paix sans chars ni canons, revêtu de douceur et de mansuétude, rayonnant d’abnégation, Lui qui a renoncé à tout pouvoir, non seulement comme Messie, mais comme Dieu, saint Paul le rappelle (Phi. 2, 6).
La domination de la convoitise
Et le Seigneur Jésus est également le Chaste et le Vierge absolu, que n’asservit pas non plus cet autre pouvoir : celui de la convoitise. La mémoire de sainte Marie l’Égyptienne en ce jour indique que l’esprit de domination s’avance également sous les couleurs de la séduction et de la promesse de volupté. L’homme et la femme peuvent avoir pouvoir l’un sur l’autre par la convoitise (cf. Gen. 3, 16). Jouir d’autrui ou le faire jouir c’est exercer son pouvoir. Les disciples demandent des places dans la royauté qu’instaurerait le Messie ; Marie l’Égyptienne connaît la puissance de la convoitise pour l’avoir exercée : ils se rencontrent en ce jour dans une même passion, celle d’être l’idole d’autrui.
Être libre de tout pouvoir
La courtisane se pare en divinité et les princes religieux et politiques veulent jouir de l’hommage de leurs sujets et de leurs fidèles. La prière de saint Ephrem le Syrien associe le rejet de l’esprit de domination et la demande de la pureté. Le chaste est libre de tout pouvoir sur autrui comme d’autrui sur lui-même. La convoitise règne sur le monde (1 Jn 2, 16), particulièrement en notre société de plaisir et de consommation. Ceux qui ambitionnent la domination cléricale ou politique se promettent à eux-mêmes une jouissance, fût-elle cruelle pour autrui. Les disciples suivent Jésus : ils acquièrent en marche l’intelligence et saisissent que le renoncement ascétique à tout pouvoir est libérateur. Tout séducteur est séduit et tout tyran esclave. Mais qui s’abstient de dominer autrui par la guerre ou l’éros ne sera pas au pouvoir de ces passions. Rien ni personne n’aura de pouvoir sur moi, dit l’ami du Christ (1 Co. 6, 12) ! Le Sauveur donne l’exemple de cette liberté en lavant les pieds de ses amis le grand Jeudi.