Accomplissement de l’Avent occidental –
Les « Ô » sont les grandes antiennes des vêpres1 des sept jours qui précèdent la vigile de Noël : on les appelle ainsi parce qu’elles commencent toutes par l’exclamation « Ô », suivie d’un des Noms divins prophétiques annonçant la venue du Messie, révélés dans l’Ancien Testament. Elles sont très anciennes, puisqu’on les trouve déjà dans l’antiphonaire grégorien (attribué à saint Grégoire le Grand, pape de Rome de 590 à 604). Mais, malgré son nom, cet antiphonaire est certainement antérieur à saint Grégoire et ces textes liturgiques sont probablement du 5ème ou 6ème siècle. Leur nombre a varié, mais, dans l’antiphonaire grégorien, elles sont au nombre de 7, dans l’ordre suivant : « Ô Sagesse », « Ô Adonaï », « Ô Rejeton de Jessé », « Ô Clef de David », « Ô Orient », « Ô Roi des Nations », « Ô Emmanuel ». Dans le manuscrit de Paris2 (12ème siècle), elles sont au nombre de 9 (on trouve en plus : « Ô Saint des Saints », et « Ô Pasteur d’Israël ») et dans le manuscrit de saint Gall2 (10ème siècle), elles sont au nombre de 12. Mais il semble bien que le chiffre 7 soit le plus traditionnel, puisque c’est celui qu’avait adopté le Missel romain, jusqu’à la réforme liturgique de Vatican II (1965) qui a fait disparaître ce trésor du rite romain3.
Huitième antienne
Lorsqu’il a fallu reconstituer une année liturgique orthodoxe de rite occidental pour les communautés françaises (à partir de 1945), l’évêque Jean de Saint-Denis4 a tenu à y intégrer ces admirables antiennes, qui comptent parmi les plus beaux textes liturgiques de l’Occident latin5, en suivant l’ordre de l’antiphonaire grégorien, et dont il composa la mélodie6, qui est originale et particulièrement festive. Mais il a eu l’idée géniale d’ajouter un huitième nom, qui est l’accomplissement des prophéties : « Ô Jésus », et il écrivit une huitième antienne, sur le même modèle que les autres, qui est chantée le huitième jour, c’est-à-dire le 25 décembre (en fait le 24 au soir à vêpres, juste avant la vigile de Noël). La Tradition consiste, non pas simplement à reprendre ce qui existe depuis longtemps, mais à créer, car elle est vivante (« Dieu œuvre sans cesse »-Jn 5/17), et l’évêque Jean était un homme particulièrement créatif, capable d’innover et de renouveler.
La pédagogie
Cet ensemble constitue une pédagogie liturgique. Pendant 7 jours, sont proclamés successivement les 7 principaux Noms divins révélés dans l’Ancien Testament, et ceci dans le sens d’une révélation de plus en plus explicite, puisque l’on commence par « Sagesse », pour arriver à « Emmanuel » (« Dieu avec nous »- Mt 1/23), le Nom révélé par le prophète Isaïe, lorsqu’il fit la prophétie de la venue du Messie, au 8ème siècle av. J-C. Et ces 7 Noms prophétiques nous préparent à la révélation du Nom de Jésus, « le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au Nom de Jésus tout genou fléchisse au Ciel, sur Terre et dans l’Enfer » (Phi 2/9-10), qui est proclamé le 8e jour (8 est le nombre symbolique de la Résurrection et du Royaume). On passe ainsi liturgiquement de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance. Cette « semaine des Noms divins » est une véritable mystagogie, préparant le cœur des croyants à être cette « grotte » qui « contient l’Incontenable »7.
Les 7 antiennes
Voici les 7 antiennes, dans leur ordre liturgique, avec l’indication de la lecture d’Ancien Testament du jour (qui révèle le Nom).
1er Nom divin : « Ô Sagesse » (17 décembre au soir, c’est-à-dire 18 décembre) :
« Ô Sagesse, Toi qui es sortie de la bouche du Très-haut, qui atteins d’une extrémité du monde à l’autre et qui disposes toutes choses avec force et douceur, viens – et ne tarde pas8 ! Viens nous enseigner la voie de la prudence et l’amour de ta beauté ». (lecture des vêpres : Sag 7/15-8/1)9
2e Nom divin : « Ô Adonaï » (18 décembre au soir, c’est-à-dire 19 décembre) :
« Ô Adonaï, Chef de la maison d’Israël, Toi qui es apparu à Moïse dans la flamme du buisson ardent et qui lui as donné la loi sur le Mont Sinaï, viens – et ne tarde pas ! Viens nous racheter en étendant ton bras ». (lecture : Ex 3/1-6)
3e Nom divin : « Ô Rejeton de Jessé » (19 décembre au soir, c’est-à-dire 20 décembre) :
« Ô Rejeton de Jessé, qui es l’étendard des peuples, devant lequel les rois garderont le silence et que les nations imploreront, viens – et ne tarde pas ! Viens nous racheter, ne tarde plus ! ». (lecture: Is 11/1-10 ; il faut remplacer « Isaïe » par « Jessé »)
4e Nom divin : « Ô Clef de David » (20 décembre au soir, c’est-à-dire 21 décembre) :
« Ô Clef de David et Sceptre de la maison d’Israël, qui ouvres sans que personne puisse fermer et fermes sans que personne puisse ouvrir, viens – et ne tarde pas ! Viens libérer le captif plongé dans les ténèbres et l’ombre de la mort ». (lecture : Is 22/20-22)
5e Nom divin : « Ô Orient » (21 décembre10 au soir, c’est-à-dire 22 décembre) :
« Ô Orient, Splendeur de la lumière éternelle et Soleil de justice, viens – et ne tarde pas ! Viens éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort ! ». (lecture : Za 3/8-9)11
6e Nom divin : « Ô Roi des nations » (22 décembre au soir, c’est-à-dire 23 décembre) :
« Ô Roi des Nations, leur Désiré, Pierre angulaire réunissant les deux peuples, viens – et ne tarde pas ! Viens sauver l’homme que tu formas du limon ! ». (lecture : Jer 10/6-7)
7e Nom divin : Ô Emmanuel » (23 décembre au soir, c’est-à-dire 24 décembre) :
« Ô Emmanuel, notre roi et notre législateur, Attente des nations et leur Sauveur, viens – et ne tarde pas ! Viens nous sauver, notre Seigneur et notre Dieu ! ». (lecture : Is 8/5-8)
Et aux vêpres du 24 décembre12, c’est-à-dire le 25 décembre est proclamé : « Ô Jésus » :
« Ô Jésus, né de la Vierge Marie Mère de Dieu, Lumière de notre intelligence, Toi qui sans quitter le Père t’incarnas pour notre salut, Tu viens apporter la paix sur la terre et la bienveillance parmi les hommes ». (lecture : Is 66/7-2)
[…] Père Noël Tanazacq
(1) Ce sont les antiennes du Magnificat. Dans les rites occidentaux, le Magnificat est chanté aux Vêpres, et non pas, comme en Orient, aux Matines (9ème ode du Canon). La grande antienne du Magnificat concerne la fête du jour (ou le temps liturgique) et constitue un équivalent du tropaire d’une fête en Orient.
(2) BNF, ms latin 17 436. Saint-Gall ms 390-391
(3) Elles se trouvaient encore dans l’Année liturgique de Dom Guéranger (l’Avent, p. 534-557, 20e éd., 1920), mais avaient déjà disparu du Missel de Dom Gaspard Lefèvre de 1955. Dans ma jeunesse, après la 2ème guerre mondiale, je ne les avais jamais entendues chanter dans l’église.
(4) Eugraph Kovalevsky (1905-1970), évêque de Saint-Denis (1905-1970), maître d’œuvre de la restauration de l’ancienne liturgie des Gaules au sein de l’Orthodoxie. Les grandes antiennes « Ô » furent restaurées dans le rite des Gaules en 1950 .
(5) C’était d’autant plus légitime qu’après l’interdiction du rite des Gaules par Charlemagne et l’imposition du rite romain, il y a eu une fusion des deux rites, au bénéfice du rite romain, au 9ème s.: les grandes « Ô » furent donc communes à toutes les Eglises d’Occident.
(6) L’évêque Jean composa la mélodie des grandes antiennes « Ô », et son frère Maxime Kovalevsky en fit l’harmonisation.
(7) Martines byzantines de Noël : hirmos de la 9ème ode.
(8) Membre de phrase emprunté à l’antienne du 3e Nom divin et ajouté au texte primitif des autres antiennes.
(9) On pourrait prendre aussi Prov 9/1-6 (« la Sagesse a bâti Sa maison… »)
(10) Le 21 décembre est aussi, en Occident, la fête de St Thomas, qui fut l’apôtre des Indes, l’Orient par excellence (il est fêté en Orient le 6 octobre).
(11) Mieux que Mal 4/1-3, où est nommé le « Soleil de justice » et surtout qu’Is 60/1-3, où est simplement mentionnée la « Lumière ».
(12) Juste avant la Vigile proprement dite.
(13) Les 7 veilleuses ou cierges des autels chrétiens de l’église antique, rappellent le chandelier à 7 branches du Temple de Jérusalem et symbolisent les « 7 lumières qui se tiennent devant le trône de Dieu » (Apo 4/5), c’est-à-dire les 7 séraphins. L’allumage du chandelier à 7 branches dans le Temple de Jérusalem constituait un des deux éléments essentiels de l’office vespéral (avec l’offrande de l’encens, mais qui n’était pas spécifiquement vespérale). L’usage d’allumer une à une les veilleuses, a certainement un lien avec Hannoukah [après la profanation du Temple par Antiochus IV en 167 av. J-C, il y eut une deuxième dédicace du Temple sous Judas Maccabée, en 164, et l’on retrouva une fiole d’huile avec le sceau du dernier grand-prêtre, qui permit, par miracle, de faire brûler le chandelier à 7 branche pendant 8 jours. On institua ensuite une fête anniversaire de ce miracle, appelée Hannoukah, célébrée fin décembre, pendant 8 jours, et, chaque soir, on allume une lampe d’un chandelier à 8 branches, le hannoukiah, avec une neuvième lampe, qui sert à allumer successivement les huit autres. L’Evangile mentionne cette fête en Jn 10/22].