Un mot malentendu –
Utilisé dans toutes sortes de contextes, « liberté », que le poète Éluard inscrit sur tous les supports, « liberté » au nom de laquelle ont été commises bien des atrocités, le mot avec ce qu’il nomme, subit nombre de contresens et d’ambiguïtés. Avec la compassion du Christ un cœur chrétien se penche sur certains mots maltraités pour les soigner, les réparer et, si Dieu le veut, les guérir. Caprice, fantaisie, arbitraire, individualisme exacerbé du « je fais ce que je veux », anarchie allergique à tout « Dieu ni maître », haine de la moindre contrainte, la liberté, dans la vie personnelle, sert souvent l’égoïsme, l’égocentrisme pathologique, ce que les saints Pères appellent l’amour de soi. Liberté pervertie, elle tient captive la liberté, elle la confine, c’est-à-dire l’enserre dans des frontières.
La liberté confinée
De ce confinement de la liberté, la paralysie est, dans le saint Évangile, l’image fréquente. Dans la vie communautaire, la liberté, conçue à juste titre comme autodétermination des citoyens et des peuples, est souvent étouffée ou bien s’étouffe elle-même en voulant se conquérir. On sait par quelles crises la démocratie passe dans certaines nations. On sait également comment l’institution ecclésiastique elle-même peut asphyxier la liberté par le cléricalisme, le moralisme ou la transformation du message évangélique en valeurs et en idées. Nombreux ceux pour qui le mot Église est incompatible avec le nom de la liberté. Un des plus beaux mots du monde, aussi chargé d’attraction magnétique que le mot amour, est souvent galvaudé ou instrumentalisé à des fins contraires.
Le mésusage
S’il est vrai que le mal n’existe que comme perversion du bien, la liberté, quoique maltraitée, quoique crucifiée, demeure le pivot du monde et l’aspiration désespérée de toute créature. Nos Pères ascétiques parlent d’un mésusage de la liberté dès le Paradis : « de même que Dieu se détermine lui-même et fait ce qu’Il veut… ainsi tu te détermines toi-même, fût-ce, si telle est ta volonté, pour te perdre » (saint Macaire le Grand, Homélie 15, 23). Dans le tropaire du dimanche de pré carême, le Fils prodigue dit « je me suis trompé ! » La souffrance et la mort dans la Création, et la perversion de la liberté elle-même, procèdent d’une erreur de la conscience et de la volonté. L’homme peut se tromper ou être trompé, et se trouver asservi, ne serait-ce qu’à lui-même.
Les deux libertés
Faisant la distinction entre la nature et la personne, saint Maxime le Confesseur décrit une liberté naturelle et une volonté naturelle. Créé à l’image de Dieu, l’être humain a la capacité de s’autodéterminer, d’autogérer en quelque sorte son existence. Cette liberté d’origine, véritable souveraineté, est également « un désir essentiel de ce qui confirme la nature » (PG 91, 153 A), un élan vers l’accomplissement. L’autre liberté humaine, celle de la personne, opère des choix et des décisions. C’est le libre arbitre, « une impulsion qui choisit et un mouvement de la pensée vers un côté ou un autre » (PG 91, 153 AB). Ici est la possibilité de se tromper ou d’être trompé, et d’asservir ainsi la liberté.
Libérer la liberté
Le Verbe divin en se faisant homme restaure la liberté naturelle et rend à l’être humain la liberté de choisir et de décider. Par la foi en lui et l’union à lui dans le baptême on est à nouveau libre. La vie ascétique dans l’Église a pour rôle d’actualiser de façon continue la liberté naturelle par l’exercice de la liberté personnelle. La paternité de Dieu s’exerce par le ministère de l’Église notamment dans le sacrement de la confession où se libère le moi profond ou personne. Nous devenons libres d’accomplir, par une obéissance libératrice, la volonté divine qui est que nous nous épanouissions à la ressemblance du Fils.