Le monde déchu –
La peur est une passion apparue après la chute et la perte du Paradis, elle n’est donc pas naturelle : l’homme connaît alors la peur de Dieu et Adam se cache de lui, la peur des animaux perçus comme des prédateurs, surtout la peur d’autrui et des autres peuples : l’étranger est souvent vu comme un ennemi ; le frère ennemi est une figure fréquente dans la Bible. Par la peur, l’homme est gouverné par l’instinct de conservation, comme l’a dit saint Maxime le Confesseur. Les animaux vivent dans la terreur d’être dévorés. L’étymologie de terrorisme indique une façon efficace d’exercer son pouvoir sur autrui – terreur, terrifier, terroriser, terrasser renvoient à l’idée de mettre ou d’immobiliser quelqu’un ou un animal par terre. Les prédateurs le font avec leur proie.
La culture
La peur a donné naissance à des formes défensives de l’architecture, comme les châteaux forts, bien sûr, et également à des quantités de barrières, clôtures et barricades. On fait fortune à proposer des produits qui vous rassurent ; la sécurité est un des mots clés de l’actualité, et un thème politique. La peur a engendré les armes et la guerre qui est un mal, au meurtre, à la torture, qui exploite la peur de la souffrance… Toutes les formes de despotisme (politique ou religieux) utilisent la peur pour assurer leur domination. Derrière cela, il y a l’œuvre diabolique de celui qui règne par la terreur. Le Malin cherche à asservir l’homme par la peur. Tu as peur de la mort, de la souffrance, d’être spolié de tes biens et de ton confort ; tu as également peur de ne pas ou plus être aimé, ou d’être détrôné. Elle a engendré également des lois pour protéger l’homme de son semblable et pour prévenir les conflits destructeurs. La loi protège et rassure mais elle ne guérit pas la peur.
Dénoncer la peur
La peur est un mal qu’il faut dénoncer, notamment dans les périodes troublées, celles des attentats ou de l’immigration massive ; elle est un péché parce qu’elle signe le manque de foi en Dieu et la haine d’autrui. Saint Maxime le Confesseur écrit: « Celui qui voit dans son cœur une trace de haine envers un homme quel qu’il soit, pour une offense quelle qu’elle soit, est tout à fait étranger à l’amour de Dieu. Car l’amour de Dieu ne supporte absolument pas la haine de l’homme. » Or, la haine est généralement fille de la peur. Et qui est étranger à l’amour de Dieu est séparé de lui, ce qui est la définition du péché. Mais le Christ dit: « N’ayez pas peur, Je suis là! ».
Prévenir et soigner
Pathologie de l’individu et du groupe social, obstacle à l’accession à la vie personnelle (hypostatique), la peur relève d’attitudes thérapeutiques et pédagogiques. Le dialogue est une méthode de prévention et de soin, sinon de guérison. C’est par lui qu’on s’exerce à vaincre la peur d’autrui – celle que nous lui inspirons et celle que nous éprouvons à son égard. C’est par la parole que l’on peut se libérer. La médiation joue un grand rôle pour négocier et éviter les conflits, car le conflit est un mal. Une grande tradition diplomatique a été illustrée par les voivodes roumains ou les condottieri italiens. La prévention est encore meilleure : mieux vaut prévenir que guérir, dit le proverbe… Elle consiste notamment à renoncer à ce qui provoque le conflit, et à le considérer comme moins important que la paix et la vie. Et, bien entendu, il y a l’éducation ! Aujourd’hui, il est possible et important d’éduquer l’enfant, l’adolescent, voire l’adulte (ou qui s’estime tel) à ne pas avoir peur, à vaincre sa peur, à la gérer, à la surmonter. À la maison, à l’école, à l’église (catéchisme), on apprend à ne pas avoir peur de celui qui est différent, de l’étranger, du pas-comme-nous. Et on apprend à ne pas avoir peur d’un hasard ou d’un destin aveugles ; à ne pas avoir peur du mal ou du Malin ; à ne pas avoir peur de Dieu !
Pour les chrétiens :
La liberté par rapport à la peur caractérise depuis longtemps les baptisés, comme le montrent d’innombrables exemples de martyrs. Le chrétien, temple du saint Esprit, n’a pas peur, parce qu’il croit à la Résurrection, il sait que la mort a été vaincue une fois pour toutes. Il n’empêche que, pour lui comme pour d’autres, la victoire sur la peur correspond à une ascèse, un exercice quotidien. En voici quelques éléments.
L’ascèse des baptisés
Purifier notre religion : qu’elle ne soit pas elle-même une religion de la peur, une perversion du phénomène religieux ; purifier notre langage : la peur n’est pas la crainte ; croire à la présence invisible du Christ dans le monde (« Je suis là « ) ; appliquer le précepte du Christ : répondre au terrorisme par l’amour pour l’ennemi, le terroriste, le bourreau, le tortionnaire ; pratiquer l’ascèse intérieure en luttant contre les pensées de jugement, de condamnation et de guerre : c’est-à-dire faire chez soi la guerre à la guerre; confesser la peur comme un péché et se repentir de la peur d’autrui qui est un frère pour qui le Christ est mort ; acquérir un vrai repentir ; faire du bien à l’ennemi et le bénir (exemple d’Ésaü et de son frère Jacob dont il avait peur) : c’est la méthode du Christ ; croire que le bien est plus fort que le mal, l’amour que la haine, la vie que la mort : le Christ est ressuscité ! ; préférer être tué que tuer, selon l’exemple de Jésus Christ et d’innombrables saints (ainsi Boris et Gleb) ; prier la Mère de Dieu : par l’Esprit saint, elle surmonta la peur, car elle était terrifiée par ce qu’on allait faire à son fils et son Dieu – et d’une façon générale, prier les martyrs et les saints. L’Église du Christ instaure une page nouvelle dans l’Histoire, une page où la peur ne règne plus sur les hommes, si toutefois ils croient, car, selon la parole de l’Apôtre, « la mort n’a plus d’empire sur nous ».