Quand j’étais en prison, j’étais tombé très gravement malade. J’avais la tuberculose aux deux poumons, et quatre vertèbres étaient également atteintes de tuberculose. J’avais aussi une tuberculose intestinale, un diabète, une insuffisance cardiaque, une hépatite et autres maladies dont je ne me souviens plus. J’étais proche de la mort.
A ma droite se trouvait un prêtre nommé Gherasim Iscu. Il était higoumène d’un monastère (Tismana). Cet homme, âgé de 40 ans environ, avait été tellement torturé qu’il était près de mourir. Mais il avait un visage calme. Il parlait de son espoir de Salut, de son amour pour le Christ, de sa foi. Il était plein de joie.
A ma gauche se trouvait un communiste tortionnaire, qui torturait le prêtre jusqu’à l’article de la mort. Ce communiste avait été arrêté par ses propres camarades. Ne croyez pas ce que disent les journaux que les communistes haïssent les prêtres, ou haïssent les Juifs. Ce n’est pas vrai. Ils haïssent purement et simplement. Ils haïssent tout le monde. Ils haïssent les Juifs, ils haïssent les chrétiens, ils haïssent les antisémites, ils haïssent les anti chrétiens, ils haïssent le monde entier. Un communiste hait l’autre communiste. Ils se maudissent entre eux. Et quand un communiste en maudit un autre, il le fait entrer en prison, et il le frappe et le torture comme un chrétien.
C’est ainsi qu’il était arrivé que le communiste tortionnaire, qui tourmentait à mort ce prêtre, avait été lui aussi battu à mort, par ses camarades, Et il rendait l’âme. Son âme était tourmentée dans les griffes de la mort.
Pendant la nuit, il me réveilla en disant : Monsieur, soyez bon, priez pour moi ! Je ne peux pas mourir, j’ai commis un crime terrifiant !
Je vis alors un miracle. Je vis le prêtre aux portes de la mort demander de l’aide aux deux autres détenus. Soutenu sur leurs épaules, il approcha doucement de mon lit, s’assit sur le bord du lit de son tortionnaire et il lui caressait la tête.
Je n’oublierai jamais ce mouvement ! Un homme torturé continuait à caresser son assassin. C’est l’amour. Il arrivait à trouver la force de consoler cet homme. Ensuite le prêtre dit à son bourreau :
« Tu es jeune, tu ne savais pas ce que tu faisais. Je t’aime de tout mon cœur. »
Mais il ne prononçait pas si simplement ces mots. On peut dire « j’aime » et que ce soit un simple mot de cinq ou six lettres. Celui-ci au contraire disait vraiment : « je t’aime de tout mon cœur ». Ensuite il a continué :
« si moi, qui suis pécheur, puis t’aimer autant, représente-toi le Christ, qui est l’amour incorporé : comme Il t’aime ! Et tous les chrétiens que tu as torturés, sache-le, te pardonnent, t’aiment et le Christ t’aime. Il veut ton Salut beaucoup plus que tu ne le veux toi-même. Tu te demandes s’il est possible qu’Il te pardonne tes péchés… Il veut te pardonner tes péchés beaucoup plus que tu ne désires toi-même être pardonné. Il veut que tu sois avec lui au Paradis, beaucoup plus que tu ne désires toi-même être au Paradis avec lui. Il n’est qu’amour. Mais il faut que tu te tournes vers lui et que tu te repentes. »
Dans cette cellule de la prison, où il ne pouvait y avoir de secrets, j’ai entendu la confession de l’assassin devant sa propre victime… La victime, au seuil de la mort, recevait la confession de son assassin et le torturé donnait l’absolution à son bourreau. Ils prièrent ensemble, ils s’embrassèrent l’un l’autre. Le prêtre retourna à son lit et les deux moururent la même nuit.
C’était la nuit de Noël. Mais pas une nuit de Noël dans laquelle nous rejoignons purement et simplement la naissance du Christ à Bethléem il y a deux mille ans. C’était la nuit pendant laquelle le Christ naissait dans le cœur d’un tortionnaire communiste.
Ce sont des faits que j’ai vus de mes propres yeux. (Richard Wurmbrand, 1909-2001, pasteur évangélique roumain d’origine juive, auteur notamment de Mes prisons avec Dieu.)